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5 janvier 2017

« Revenu de base », l’enfer pavé de bonnes intentions

La proposition d’un revenu universel, défendue notamment par Benoît Hamon pour «éradiquer la grande précarité», s’invite dans la campagne. Associations et partis politiques alertent sur les dangers d’un tel projet, cheval de Troie pour achever le modèle social français.

Lutter contre la pauvreté en versant à tous, sans condition et tout au long de leur vie, un montant suffisant pour «subsister»: l’idée s’invite dans la campagne présidentielle. Mais sous ce slogan aux apparences généreuses se cachent des projets bien différents, qui confinent à l’auberge espagnole idéologique. Car, au-delà du camp socialiste, on retrouve derrière ses promoteurs aussi bien des néolibéraux (Milton Friedman en était un ardent défenseur) que des écologistes et des partisans de la décroissance, qui considèrent que ce revenu libérerait l’individu de l’asservissement au capital en opérant un découplage entre les revenus et l’emploi.

Les associations qui luttent au quotidien contre la pauvreté sont les premières à mettre en garde contre une solution présentée comme un remède miracle, mais qui pourrait aboutir à la suppression d’une partie importante de la protection sociale. «Le Secours populaire est très réservé sur le concept même du revenu de base et a fortiori sur les conditions de sa mise en œuvre. La situation des personnes est différente selon que leur rémunération est le produit de leur travail ou de prestations sociales qui peuvent être retirées si les textes changent», explique Henriette Steinberg, secrétaire générale du conseil d’administration du SPF. Mêmes inquiétudes du côté du Secours catholique, auditionné dans le cadre d’une commission sénatoriale en octobre dernier. «Il nous semble que le revenu de base comporte plus de risques que de bénéfices pour les plus fragiles. Nous y sommes donc plutôt opposés, car il ne favoriserait pas l’inclusion sociale», confiait alors Guillaume Almeras, responsable du département emploi au SCF.

«Le revenu de base est prétendu instrument de lutte contre la précarité et le chômage. En réalité, il en est l’idiot utile», avance Fréderic Rauch, rédacteur en chef de la revue communiste Économie et politique (1). Pour lui, «en assurant un revenu de la naissance à la mort déconnecté de la production, le revenu de base alimente la trappe à bas salaires et contribuerait à la déresponsabilisation sociale des entreprises en ne répondant pas non plus à l’objectif de socialisation des profits».

«Le revenu de base prend acte d’une société du chômage de masse. Il n’y aurait plus d’effort à mener pour le partage du travail et pour le plein-emploi», abonde Charlotte Girard, co-coordinatrice du projet de la France insoumise. Une analyse également partagée par la CGT, qui refuse de se laisser «abuser par un slogan aux apparences généreuses». «Le débat sur le revenu universel n’intervient pas par hasard: la CGT estime qu’un certain nombre de choix et d’orientations politiques visent à mettre à mal le système de protection sociale, de plus en plus remis en cause avec les exonérations de cotisations sociales et fiscales», explique Boris Plazzi, en charge du dossier pour la direction confédérale de la CGT, qui y voit un moyen supplémentaire donné au patronat pour faire pression sur les salaires.

D’autant que l’idée, que certains candidats présentent comme le nec plus ultra de la modernité, est loin d’être neuve. Elle avait déjà suscité l’enthousiasme des libéraux lors de la crise économique de 1973. C’est l’idée que développe le sociologue belge Daniel Zamora dans un ouvrage à charge (2), qui rappelle que «plus les conquêtes sociales semblent inaccessibles, plus l’idée d’une allocation universelle refait surface».

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(1) Lire le dossier sur le revenu de base de juillet-aout 2016, www.economie-politique.org

(2) Contre l’allocation universelle, Lux, 112 pages.

Maud Vergnol, L’Humanité, 5 janvier 2017

Photo : © Reuters

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