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1 décembre 2007

Bourgault

Si la biographie de Pierre Bourgault racontée par Jean-François Nadeau rencontre un tel succès, c’est en raison sans doute de la singularité de ce personnage flamboyant, pratiquant dans sa vie politique comme dans sa vie privée un art parfaitement maîtrisé de la provocation. C’est notamment ce qui le distingue et le démarque de la plupart de nos contemporains portés sur la réserve et la retenue dans le comportement, sur la litote et les restrictions mentales dans le langage, l’un et l’autre régis par le politiquement correct au goût du jour. Bourgault échappe à ces contraintes en faisant preuve dans tous les domaines où s’exerce son activité d’une extraordinaire liberté tant dans sa pensée que dans son style de vie.

Le choix de l’indépendantisme en est la preuve la plus convaincante sur le terrain politique. Ce courant, lorsque le futur président du RIN le rejoint au début des années 1960, est ultra minoritaire et marqué à droite sur le plan idéologique. Le mérite de Bourgault et de ses compagnons sera de le réorienter à gauche et de l’inscrire dans la perspective internationaliste des luttes pour l’indépendance à l’endroit des puissances coloniales. Le RIN sera donc résolument indépendantiste, en ce qui concerne la question nationale, et profondément réformiste – derrière la phraséologie révolutionnaire – sur le plan social, son programme politique le situant nettement à gauche de la fraction progressiste du parti libéral dirigée entre autres par René Lévesque.

Sous la direction de Bourgault, qui le préside en y investissant toute son énergie et en le faisant rayonner grâce à son talent oratoire exceptionnel, le nouveau parti connaît une progression très rapide. Et ce malgré les conflits qui le déchirent et les dissensions qui vont conduire à la mise sur pied d’organisations rivales (le Parti républicain du Québec, puis le Ralliement national) qui défendent un nationalisme à l’ancienne dans la tradition du duplessisme. Jean Garon, nouvel admirateur zélé de Mario Dumont, lui-même figure revampée du cheuf de l’Union nationale, était déjà un animateur de cette tendance conservatrice dès les années 1960 ; en flirtant avec l’ADQ, il ne fait qu’opérer un retour au bercail !

La création du MSA en 1967 par l’aile réformiste dissidente du parti libéral, suivie de celle du PQ l’année suivante, aura entre autres pour résultat de freiner l’expansion du RIN qui se met à plafonner et à régresser, perdant plusieurs membres au profit du parti dirigé par Lévesque. C’est dans ces conditions défavorables qu’auront lieu les discussions de fusion entre les deux organisations qui se termineront abruptement par l’autodissolution du RIN à l’automne 1968.

Nadeau soutient que cette option était inévitable compte tenu du rapport de force concret entre les deux formations politiques. L’Histoire, ce tribunal laïque qui ne reconnaît pas les erreurs, pas plus qu’il n’accorde son pardon aux vaincus, paraît lui donner raison. Sauf que ce choix comportait un prix : la dilution de l’indépendantisme dans la souveraineté-association, la réduction des perspectives progressistes dans un programme réformiste bon teint, à la sauce libérale. Fallait-il le payer ? Certains, à l’époque et j’en étais, l’estimaient trop élevé et s’opposèrent au choix défendu par Bourgault et la direction majoritaire du RIN, considérant que le PQ ne ferait ni l’indépendance, ni la social-démocratie et effectivement il n’a réalisé ni l’une ni l’autre. La victoire de Lévesque, sanctionnée par le ralliement de Bourgault, c’est celle du réalisme politique sans principes, de la stratégie à courte vue qui devait déboucher sur une impasse dont nous ne sommes toujours pas sortis. Bourgault, pour sa part, en payera le prix fort à travers le mépris affiché de manière ostentatoire par Lévesque à son endroit et sa relégation à un rôle de second violon au sein de son parti, ce « grand démocrate » n’ayant guère d’affection pour les opposants pouvant faire ombrage à son auréole prestigieuse.

Nadeau évoque fort correctement dans l’ensemble cette période trouble. Il le fait à partir d’un regard d’historien se tenant à distance de son objet, d’une époque qu’il n’a pas connue comme acteur et qu’il ne peut donc évoquer sur le mode du témoignage. Cette posture lui permet de produire une représentation objectivante de la situation, ce qui constitue un avantage certain d’un point de vue strictement historiographique, mais lui interdit d’en donner une description qui en fasse ressortir la ferveur et la fébrilité. Or si plusieurs demeurent nostalgiques de ce moment-clef de l’histoire contemporaine du Québec, c’est en raison justement de l’effervescence et du jaillissement prometteur qui l’imprégnaient et lui donnaient sa couleur et sa saveur singulières, éléments qu’on ne retrouve guère dans son récit.

Cette biographie n’est pas que politique bien sûr. Elle traite aussi du personnage médiatique que s’est construit Bourgault, excessif et fantasque. Elle aborde également sa vie privée carburant à la passion, qui le portait et le stimulait dans l’instant, mais qui le détruisait dans le même mouvement, l’emportant dans un tourbillon où il se perdait, terminant sa vie en solitaire, devenu un vieux clown triste réduit à d’ultimes parades dérisoires.

Nadeau évoque honnêtement ce déclin, sinon cette déchéance, dans un souci de « dire froidement » et dans sa vérité la vie de ce personnage hors normes, déterminée par un esprit et une volonté de liberté totale qui en est sans doute la dimension centrale, l’axe autour duquel tout s’organisait en lui-même et dans son rapport à autrui et au monde. C’est cet esprit qu’incarnent Bourgault et quelques autres de la même trempe, comme Michel Chartrand et Pierre Vallières, réfractaires et imprécateurs, prophètes impénitents dans un monde de conformisme et de résignation. Le principal mérite de cette biographie est peut-être de nous rappeler cette exigence et l’une des grandes figures qui l’ont incarnée ici de manière exemplaire.

Jacques Pelletier
À babord !, no 22,  déc. 2007-jan. 2008
Voir l’original ici.

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