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22 octobre 2016

L’Amérique dans l’obscurité

Face au duel électoral Clinton-Trump, Chris Hedges n’épargne ni les démocrates ni les républicains.

Que le populiste Donald Trump, antithèse colorée du politicien conventionnel, as de l’illusion, ait du succès auprès du public et soit à l’avant-scène médiatique dans la campagne présidentielle aux États-Unis dénote le grave malaise socioéconomique que connaît le pays. Voilà ce que soutient l’essayiste américain Chris Hedges dans L’âge des démagogues. Pour lui, le faux progressisme des Clinton et d’Obama permet cet émoi « fascisant ».

Le terme « fascisant » peut surprendre. Hedges, ancien correspondant de guerre au New York Times, collaborateur de magazines influents, comme Harper’s, l’applique au mouvement à « plusieurs visages » propre à un « segment de la population blanche désœuvrée » dans ses entretiens en 2015-2016 avec l’essayiste québécois Pierre-Luc Brisson.

Les travailleurs blancs assez peu scolarisés, explique-t-il, victimes de la mondialisation de l’économie, de la désindustrialisation et de la désyndicalisation des États-Unis, prêtent l’oreille aux propos de Trump sur le retour à la prospérité de l’Amérique d’antan. Il précise : « La raison pour laquelle ils ont décidé de se retrancher dans ce système de pensée magique, mythique — et c’est ce qu’a toujours été le totalitarisme —, c’est qu’ils ne pouvaient plus rien faire face aux assauts du monde réel. »

Audacieuse et pessimiste, son analyse apparaît pourtant sans faille. Trump répond, aux yeux de Hedges, à « une colère légitime envers une élite libérale autoproclamée, incarnée par des figures comme les époux Clinton ou Barack Obama, qui ont adopté le discours empathique de la gauche, mais qui ont par la suite servi le pouvoir de la grande entreprise ».

Un rigoriste contre l’hypocrisie

On peut reprocher un rigorisme moral et un idéalisme religieux à l’essayiste, pasteur presbytérien de gauche qui ne craint pas d’initier aux idées radicales d’Eduardo Galeano sur l’asservissement yankee de l’Amérique latine les détenus américains, souvent issus des minorités, parfois au péril de sa sécurité. Aux idées aussi de Dee Brown sur la discrimination aux États-Unis des Amérindiens et de Howard Zinn sur celle des Noirs. Mais peut-on rester insensible à la manifestation de ce qu’il appelle « l’hypocrisie » de Bill et Hillary Clinton ?

Hedges reproche à Bill Clinton d’avoir « détruit » la sécurité sociale dans les années 1990, surpeuplé les prisons en renforçant le système pénal, « trahi » les travailleurs des États-Unis par l’Accord de libre-échange nord-américain qu’aggraverait le Partenariat transpacifique voulu par Obama. Il accuse Hillary Clinton de servir indéfectiblement Wall Street, de défendre un féminisme de façade puis les minorités sans rien leur offrir de concret.

Les Américains blancs déclassés, déçus par l’élite libérale et séduits par Trump, risquent de se retourner contre les valeurs libérales en soi. Héritier de Calvin, Hedges le prédit au nom d’un déterminisme à la fois sombre et logique.

Michel Lapierre, Le Devoir, 22 octobre 2016

Photo : Paul J. Richards Agence France-Presse

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