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8 avril 2017

L’histoire qui s’écrit hors jeu

Dave Zirin trace les lignes politiques sur le terrain du sport de masse américain.

L’image fait partie des plus connues du monde du sport contemporain. En 1968, les sprinteurs américains Tommie Smith et John Carlos se présentent en soirée du 16 octobre sur le podium de la victoire du 200 mètres des Jeux olympiques de Mexico, la tête baissée, le poing habillé d’un gant noir porté dans les airs.

Le premier a remporté la médaille d’or, l’autre la médaille de bronze, mais aux côtés de l’Australien Peter Norman, médaillé d’argent, c’est une autre histoire que les deux hommes ont décidé de raconter : celle d’une résistance et d’une affirmation dans un pays qui, malgré ses nouvelles lois, vit encore dans les relents de son passé ségrégationniste.

Quelques mois plus tôt, Martin Luther King et son rêve ont été assassinés et le Olympic Project For Human Rights a vu le jour, appelant les athlètes afro-américains à boycotter les JO de 1968. Le groupe dénonce dans son manifeste l’utilisation par les États-Unis de « quelques “Nègres” pour montrer au monde à quel point ils ont progressé quant à la question raciale, surtout quand l’oppression des Afro-Américains est plus grande que jamais ». Tommie Smith et un autre sprinteur du nom de Lee Evans en sont les porte-parole.

Qu’on se le dise : même s’il rassemble des aficionados d’obédiences politiques, religieuses et culturelles plutôt variées, dans un même stade, autour d’une même piste ou d’une patinoire, le sport, celui qui fait transpirer les foules, est loin d’être cet espace neutre et apolitique, ce trait d’union entre les différences le temps d’une série, d’une finale ou d’un 200 mètres haies. Le sport, c’est aussi de la politique, et c’est ce que tend à raconter le journaliste Dave Zirin, responsable des sports à l’hebdo américain politique The Nation, dans cette étonnante Histoire populaire du sport aux États-Unis, incursion dans ces autres histoires qui, par le sport de masse, s’écrivent hors du jeu.

Des fondements du baseball par Alexander Cartwright pour rassembler la mixité sociale après la messe du dimanche à la soi-disant dépréciation du tennis américain — c’est un commentateur sportif qui l’a dit — à cause d’une présence hégémonique de deux soeurs afro-américaines (les Williams, pour les nommer), en passant par la guerre de Sécession et la guerre du Golfe, Dave Zirin multiplie les coups de circuit sur les tensions raciales inhérentes au sport, sur les liens étroits entre le sport et la promotion de la guerre, sur l’incursion du communisme sur la scène sportive ou encore sur l’affirmation des femmes, contre les vents conservateurs de plusieurs moments. « En 1922, une nageuse de 19 ans du nom de Sybil Baueur a envoyé au tapis les vieux préjugés lorsqu’elle a battu le record mondial (lire : masculin) aux 400 mètres dos », écrit-il en soulignant qu’en 1927 un palmarès des athlètes populaires publié par le Chicago Defender exposait 5 femmes sur les 17 finalistes. En ces temps, les équipes sportives féminines se multiplient d’ailleurs dans les manufactures, « la direction des usines [y voyant] une stratégie efficace pour détourner l’attention des femmes des mouvements radicaux qui avaient marqué la décennie précédente », écrit-il.

Dans les rafales de faits et d’anecdotes assemblés par cet érudit du sport populaire, plusieurs fragments confirment certains a priori sur le sport de masse orchestré par les riches et puissants pour endormir et assujettir les foules afin qu’elles n’aient plus de temps de cerveau disponible pour chercher à les renverser. Ainsi, en 1903, Roosevelt puise dans les poches d’industriels et banquiers afin de mettre en place dans 17 villes un programme pour enseigner aux jeunes hommes les fondements de la forme physique et le développement d’aptitudes sociales en mettant en avant l’esprit sportif et le travail d’équipe. La Public Schools Athletic League (PSAL) visait aussi, souligne Dave Zirin, à garder les ouvriers pauvres et leurs enfants prêts et en forme pour faire la guerre. Cette guerre qui fait souvent de la politique sur le dos des athlètes.

C’est ce qui s’est passé récemment avec Pat Tillman, maraudeur vedette des Cardinals d’Arizona parti faire la guerre du Golfe après les attentats du 11-Septembre, relate l’essayiste. Le gouvernement en fait un héros de la nation après que le jeune homme est tué sur le théâtre des opérations. Or, la mythologie opportuniste montée par W. Bush et les siens reposait sur deux oublis : Tillman a été tué non pas dans une embuscade comme annoncé par l’armée, mais par un « tir ami ». Qui plus est, l’homme avait à plusieurs reprises dans son bataillon dénoncé cette « saloperie de guerre » et surtout son illégalité en parlant des mensonges — sur les armes de destruction massive, entre autres — qui l’avaient déclenchée.

Dans les corps à corps entre le sport et la politique, il y a forcément quelques uppercuts.

★★★ 1/2

Fabien Deglise, Le Devoir, 8 avril 2017

Photo: En 1968, aux Jeux olympiques de Mexico, les coureurs américains Tommie Smith et John Carlos lèvent le poing ganté sur le podium, en signe de soutien aux Black Panthers. © EPU/Agence France-Presse

Lisez l’original ici.

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