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28 octobre 2017

L’humour corrosif de Noam Chomsky

L’essayiste pourfend le socialisme des riches qui renforce le capitalisme des pauvres.

La crise financière américaine de 2008, l’extrémisme des républicains dans leur opposition au président Obama de 2009 à 2017, la victoire du républicain Donald Trump à l’élection présidentielle, tout cela inspire Noam Chomsky. Il écrit : « Les riches et puissants ne veulent pas d’un système capitaliste. Ils veulent pouvoir diriger l’“État-providence” dès qu’ils sont en difficulté et être renfloués par le contribuable. » Quel humour d’une rare finesse !

À 88 ans, l’infatigable essayiste américain lance ce trait dans Requiem pour le rêve américain, qu’il complète par un autre livre, ses entretiens avec l’économiste et politologue C. J. Polychroniou : L’optimisme contre le désespoir. Dans le premier ouvrage, il fait sur l’idéal américain le pénible constat suivant : « Le sentiment général est que rien ne reviendra : c’est fini. » Il renchérit : « La mobilité sociale est en fait moins grande ici qu’elle ne l’est en Europe », malgré le futile espoir que Trump a pu susciter.

Chez celui-ci, héritier d’un père déjà opulent, l’absence d’une ligne de pensée définie, l’abondance d’humeurs fugitives du moment montrent à quel point, aux yeux de Chomsky, la hantise du retour à l’Amérique prospère est onirique. Le penseur socialiste libertaire rappelle qu’à la différence des superriches, « petite fraction de 1 % » de la population, la majorité a vu son revenu réel « plus ou moins stagner pendant plus de trente ans ». Il juge la classe moyenne « violemment agressée » par les puissants.

Aux États-Unis, la ploutocratie aurait définitivement remplacé la démocratie à cause de l’effarante « concentration de la richesse et du pouvoir ». Certes, les élections libres et la diversité des partis politiques existent toujours et on ne muselle pas les médias, mais une sourde domination existe. Voilà ce que Chomsky décrit depuis tant d’années. Les agissements de Trump et du Parti républicain, qui ne conteste pas le président, le confirment de façon colorée, sinon burlesque.

Chomsky avoue qu’il n’avait « pas anticipé la puissance de la réaction » du pouvoir économique et politique aux « effets civilisateurs » du mouvement progressiste des années 1960. Il se rend compte aujourd’hui que, dès la décennie suivante, le monde des affaires a repensé l’économie pour déjouer l’élan des promoteurs de l’égalité sociale en augmentant le rôle des banques, des sociétés d’investissement, des compagnies d’assurances.

Par la financiarisation de l’économie, la société américaine et même occidentale devenait de moins en moins axée sur la production en délocalisant celle-ci vers des pays où la main-d’oeuvre est moins chère. Ainsi, l’appauvrissement de nos classes laborieuses allait de pair avec leur désyndicalisation et leur dépolitisation, si bien que le renflouement gouvernemental des sociétés financières par les contribuables, comme lors de la crise de 2008, ne souffrait pas d’une riposte généralisée.

Malgré la faiblesse de la gauche qu’il déplore, Chomsky salue, dans L’optimisme contre le désespoir, le succès du sénateur socialiste Bernie Sanders, adversaire redoutable, aux primaires démocrates, de la gagnante Hillary Clinton qui, à l’élection présidentielle de 2016, rivalisera, de manière infructueuse, avec Trump. Il souligne : « La “révolution politique” de Sanders fut un phénomène remarquable qui m’a tout autant étonné qu’enchanté. »

Ce dernier goûterait plus que personne l’humour ravageur de Chomsky lorsqu’il résume la droite américaine : « Socialisme pour les riches, capitalisme pour les pauvres. » Des milliards en aumône gouvernementale pour consoler Wall Street de ses revers, des miettes de fonds publics pour le peuple.

Michel Lapierre, Le Devoir, 28 octobre 2017
Photo : Pedro Ruiz / Le Devoir
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