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9 novembre 2017

Relancer la question du socialisme

La réflexion sur le socialisme n’est pas morte, fort heureusement. Nous en avons la preuve avec le dernier livre du philosophe Frank Fischbach, qui s’interroge sur ce qu’il est possible de conserver de la tradition socialiste et ce qui doit en être écarté pour la revivifier. C’est une lecture rassérénante, très éloignée des constats catastrophistes en vogue aujourd’hui, et qui ne place pas le salut du socialisme dans quelque convulsion immense et par conséquent très improbable. Il ne propose pas davantage de se débarrasser des fondements prétendument « dépassés » du socialisme pour l’adapter à un monde qui serait en train de voir le travail et les classes disparaître, comme on l’entend si souvent.

Pour F. Fischbach, le principe fondamental du socialisme réside dans cette idée que la société est « l’œuvre commune à l’élaboration de laquelle coopèrent les individus, et ce, à l’avantage de chacun d’entre eux ». Il ajoute immédiatement que cette idée se trouve aussi au centre de la conception de la démocratie, liant donc indéfectiblement les deux notions sous les principes de l’association et de la coopération.

Socialisme et démocratie reposent sur l’articulation entre autonomie individuelle et autonomie collective. Ces valeurs s’opposent frontalement à celles qui régissent les sociétés contemporaines, même si ces dernières font parfois mine de les célébrer.

S’opposant aussi bien à un individualisme forcené, qui fait comme si la société n’existait pas, qu’à ce type de volontarisme que l’on voit périodiquement resurgir et qui attribue à de petites avant-gardes le rôle de  locomotives de l’histoire, F. Fischbach rappelle cette position essentielle, que partagent une fois encore le socialisme et la démocratie, qui veut que le social soit « structuré par des institutions dont les individus ne disposent pas immédiatement et surtout pas individuellement, et sur lesquelles ils n’ont de chances de pouvoir peser que collectivement ». Si les institutions nous dépassent en tant qu’individus, ce ne peut qu’être à travers elles, en les modifiant, et en le faisant forcément au travers de mouvements sociaux, qu’il sera possible de se changer comme individus.

Trois hypothèses

Fischbach isole ce qu’il nomme « les hypothèses du socialisme ». Il en identifie trois principales. La première hypothèse pose que l’être humain est naturellement sociable. La deuxième hypothèse se divise en deux idées, à savoir que toute société peut s’évaluer et se critiquer en fonction de ses propres critères de rationalité d’une part, et, d’autre part, qu’il n’existe pas de raison individuelle, mais que raison et rationalité sont des produits collectifs. Enfin, la troisième hypothèse est liée à la précédente, car elle définit la rationalité du social en fonction du nombre et de l’intensité des relations qu’entretiennent les individus entre eux.

Ces hypothèses du socialisme présentent deux particularités : celle d’être spécifiquement contemporaines et européennes à leur naissance puisqu’elles accompagnent le développement de la société industrielle, et celle d’être liées à l’idée qu’une connaissance scientifique de la société est possible.

La  modernité  du socialisme – sa première dimension – rappelle que celui-ci naît de la division du travail et de l’interdépendance qu’elle produit entre les travailleuses·eurs, qui la vivent spontanément dans les usines et les ateliers. Dans la société industrielle qui a institué cette division du travail, il ne peut exister d’individu séparé des autres et autosuffisant. Cette division du travail suppose en retour la reconnaissance de la capacité de la société à organiser les différentes fonctions sociales de manière consciente.

La seconde dimension du socialisme rappelle qu’il a dès le début partie liée aux « sciences sociales » balbutiantes. Comme le dit l’auteur, « le socialisme témoigne de l’effort d’autocompréhension, d’autoconnaissance et d’autoréflexion des sociétés industrielles modernes en tant qu’effort qui a lui-même été produit en vue de l’autotransformation de ces mêmes sociétés ». Et Fischbach ajoute, ce qui est déterminant, que cet effort s’accompagne, dans le socialisme, d’un projet de « gouvernement démocratique de la société par elle-même ».

Socialisme démocratique

Ce livre est aussi une critique du rabattement du socialisme sur une variante du libéralisme ou du démocratisme, opération que l’auteur repère par exemple dans le dernier livre d’Axel Honneth, L’idée du socialisme. F. Fischbach réaffirme au contraire que le socialisme a des caractéristiques supplémentaires par rapport à ces deux conceptions, parmi lesquelles on trouve la centralité qu’il accorde au monde du travail et à celui de la production, et à leur nécessaire démocratisation.

Enfin, Qu’est-ce qu’un gouvernement socialiste ? se place dans la longue tradition du socialisme démocratique, même s’il n’en revendique pas explicitement l’héritage. Il montre donc que cette « âme » du socialisme, comme l’avait nommée Hal Draper, résiste ; mieux, on se prend à rêver qu’elle se renforce.

Antoine Chollet, Pages de gauche, no 165, automne 2017

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