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7 février 2019

L’avertissement de Naomi Klein sur le “choc des utopies” qui nous guette

Dans son nouveau livre, “Le Choc des utopies” (Lux), l’essayiste altermondialistes canadienne examine l’application de la “stratégie du choc” à Porto Rico après l’ouragan Maria. Et en tire les leçons pour la bataille pour le climat à venir.

Que retiendra-t-on de la catastrophe provoquée par l’ouragan Maria à Porto Rico en 2017 ? L’image lamentable qui pour l’instant vient à l’esprit est celle des clowneries de Donald Trump, lançant des rouleaux de sopalin aux sinistrés à San Juan, la capitale. Preuve flagrante à en crever les yeux de la relation de subordination persistante de l’archipel à l’administration américaine, et du dédain de celle-ci pour ses habitants. L’expérience de l’après-Maria devrait pourtant entrer dans les annales de la bataille mondiale pour le climat. Un affrontement qui oppose désormais de plus en plus souvent les ultralibéraux qui cherchent à profiter des désastres provoqués par le dérèglement climatique, aux citoyens près à défendre leur souveraineté démocratique et la justice climatique contre eux.

 

Deux mondes parallèles aux intérêts antagoniques

C’est la leçon que tire l’essayiste canadienne Naomi Klein de son passage sur l’île en janvier 2018. Dans le court livre issu de ses pérégrinations portoricaines, Le Choc des utopies – Porto Rico contre les capitalistes du désastre (Lux), elle examine comment deux mondes parallèles aux intérêts antagoniques se sont mobilisés après la catastrophe, incarnant deux projets de société radicalement différents.

D’un côté, des paysans de l’Organizacion Boricua ont prouvé qu’ils pouvaient nourrir des communautés entières grâce à une agriculture écologique, à un moment où 80% des récoltes de l’île avaient été détruites. Des militants de l’énergie solaire ont alimenté leurs villages en lumière et en électricité quand tout s’était éteint, sur un archipel qui tire 98% de son électricité des combustibles fossiles. Et des enseignants ont maintenu les écoles ouvertes grâce à l’entraide et à l’auto-organisation. De l’autre, des banquiers, promoteurs immobiliers et opérateurs de cryptomonnaie adeptes de la philosophe ultralibérale Ayn Rand – à l’instar de Brock Pierce, figure charismatique de ce mouvement -, ont vu dans le désarroi causé par la catastrophe naturelle une occasion de déposséder l’île de ses ressources. C’est le principe même de la “stratégie du choc” théorisée par Naomi Klein en 2007 : exploiter le désespoir dans lequel les habitants sont plongés après un tel événement pour démanteler l’Etat administratif, privatiser les services publics et imposer des cures d’austérité drastiques.

Une préfiguration de conflits futurs

“Les deux visions sont utopiques : celle d’un Porto Rico où les richesses de l’île sont gérées de façon prudente et démocratique par ses habitants, et le projet libertarien que certains surnomment “Portopie”, écrit l’essayiste altermondialiste. Le premier de ces rêves est fondé sur le désir des gens d’exercer une souveraineté collective sur leurs terres, leurs ressources énergétiques, leur nourriture et leur eau; le second sur le désir d’une petite élite de se prémunir de toute intervention du gouvernement afin d’être libre de se livrer à l’accumulation illimitée de profits privés”.

Si ce livre est si important en dépit de sa brièveté, c’est parce que la situation qu’il décrit est appelée à se reproduire à plus grande échelle encore. Les changements climatiques occasionneront d’autres scènes apocalyptiques – rappelons que Maria a fait mille victimes à Porto Rico. Face à cette ère de l’effondrement, l’exemple portoricain montre qu’une alternative est possible, reposant sur l’entraide et la justice climatique que réclament de plus en plus de mouvements citoyens à travers le monde.

“Maria a modifié la topographie politique”

Aussi faut-il voir dans les bouleversements à venir l’opportunité d’un changement de base pour la société. “Les paysans ont été dépeints par leurs opposants comme des vestiges d’un autre temps, tandis que les importations et le prêt-à-manger incarnaient la modernité. Mais Maria, assez puissant pour bouleverser la géologie locale, a également modifié la topographie politique”, note Naomi Klein. S’il faut se préparer à la fin d’une civilisation et à son remplacement pour une autre, Porto Rico fait donc appel à notre vigilance : cette substitution ne se fera pas sans conflit. Voilà pourquoi “les Portoricains élaborent un modèle non seulement pour l’île, mais aussi pour le monde”.

Mathieu Dejean, Les Inrocks, 7 février 2019

Photo: A Los Angeles, des manifestants contre l’inaction des États-Unis à Porto Rico un an après l’ouragan Maria (Mario Tama / Getty Images / AFP)

Lisez l’original ici.

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