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16 avril 2019

«Le quartier de l’Europe ne permet pas de comprendre les liens entre les institutions»

Le journaliste Ludovic Lamant s’est intéressé à l’histoire architecturale des bâtiments européens, qu’il lui semble important de ne pas concentrer dans un seul secteur.

Dès son arrivée à Bruxelles en 2013 en tant que journaliste pour Mediapart, Ludovic Lamant a voulu comprendre les choix architecturaux qui ont présidé à la conception des bâtiments du quartier européen. Il en a tiré le livre Bruxelles chantiers (Lux, 2018), où il montre combien il est difficile de lire dans les pierres l’organisation des pouvoirs de l’Union européenne. Si l’idée de tout raser est tentante, des pistes moins radicales méritent aussi d’être étudiées.

Quel a été votre premier regard sur le quartier européen ?

Je me suis demandé comment j’allais tenir plusieurs années dans ce quartier triste, sans aspérité, qui ressemble à un quartier d’affaires. Il se trouve dans une ville capitale de la Belgique, de la Flandre, de l’Otan et de l’UE, mais sans aucun signe traditionnel d’une capitale politique. J’ai eu peur de devenir aussi gris que les murs, que ce décor abîme ma manière de penser. J’ai donc voulu comprendre pourquoi ce quartier avait pris ce visage.

L’incertitude sur le fonctionnement de l’UE a-t-elle beaucoup joué dans l’organisation du quartier ?

Il s’est développé en tache d’huile, parce que l’Europe a acquis plus de compétences, et parce que le nombre d’Etats membres a augmenté. De plus, Bruxelles n’a été officiellement choisie comme capitale qu’en 1992 ! Auparavant, les Belges ont agi avec pragmatisme et proposé aux Européens des bâtiments en location. L’histoire la plus rocambolesque est celle du bâtiment Paul-Henri-Spaak, inauguré en 1993, où se réunit le Parlement. Son siège officiel étant à Strasbourg, la France n’aurait pas accepté un site à Bruxelles. Il a donc été construit en secret, comme un simple palais des congrès. C’est quand il a été terminé qu’on a annoncé que le Parlement allait l’acheter. Conséquence : l’aménagement du quartier ne permet pas de comprendre quels sont les liens entre les institutions, alors que si l’on va à Brasília, à Washington, le plan d’ensemble indique des rapports de force entre les pouvoirs législatif et exécutif.

Comment expliquer l’absence de monumentalité des institutions européennes ?

Avant l’arrivée des institutions, la ville était victime de la «bruxellisation» : des promoteurs et des architectes ont expulsé des ménages et ont rasé des immeubles pour bâtir des tours de bureaux, des parkings, et ont traumatisé la population. On voit aussi une frilosité des dirigeants européens à incarner une forme de souveraineté, par rapport aux Etats membres. Il y a pourtant eu des projets très intéressants, comme celui de Rem Koolhaas le long de la rue de la Loi qui traverse le quartier européen. Cela dit, il faudrait inventer autre chose que la capitale classique d’un Etat-nation : Umberto Eco a imaginé renouer avec la logique douce des villes-Etats du Moyen Age, chacune dotée d’institutions, et toutes reliées entre elles.

Mais la proximité compte beaucoup pour les acteurs de la vie bruxelloise, les politiques comme les lobbyistes.

On pourrait retourner la logique : si on veut freiner les lobbys, on peut jouer à fond la carte de la dispersion. Une école d’architecture avait proposé en 2007 de sortir le Parlement du quartier européen et de l’installer à l’autre bout de Bruxelles.

Vous pointez aussi l’absence d’espace public dans le quartier européen.

Je m’y suis intéressé à travers le rond-point Schuman, bordé des sièges de la Commission et du Conseil. L’architecte Xaveer De Geyter avait proposé un projet monumental en forme d’agora qui permettait des rassemblements. Le fait qu’il a été mis de côté est l’indice d’une peur des institutions d’ouvrir un lieu où l’on pourrait manifester. Mais cela change : les marches bruxelloises pour le climat font étape au Berlaymont.

Thibaud Sardier, Libération, 16 avril 2019

Photo: Bâtiment de la Commission européenne, à Bruxelles. © Emmanuel Dunand / AFP

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