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3 mai 2019

Porto Rico: l’impossibilité d’une île?

Dans son dernier ouvrage, Le choc des utopies : Porto Rico contre les capitalisme du désastre, la journaliste canadienne Naomi Klein revient sur les deux tempêtes meurtrières qui ont balayé la petite île des Caraïbes en 2017. Si l’ouragan Maria fut aussi brutal – catégorie 5 – qu’éphémère, les politiques néolibérales s’avèrent, elles, constantes et bien plus violentes, et ce, depuis des décennies.

Porto Rico : le cobaye des États-Unis d’Amérique

Les images et les propos du fraîchement élu président des États-Unis, Donald Trump, avaient fait le tour du monde, lorsque ce dernier, s’était rendu à Porto Rico après l’ouragan Maria en 2017. Elles en disaient long sur la considération étasunienne vis à vis de son territoire non incorporé. C’est que la petite île des caraïbes d’un peu plus de 3,3 millions d’habitants sert depuis des décennies de cobaye aux expériences étasuniennes : « Ainsi, au milieu des années 1960, la stérilisation forcée de plus d’un tiers des Portoricaines et le test de nombreux médicaments dangereux ont eu lieu à Porto Rico » écrit Naomi Klein.

L’île fut également un laboratoire militaire, où les marines s’entraînaient à la guerre terrestre. Un laboratoire agricole aussi : « Une île isolée et peuplée de beaucoup de gens sans valeur. Des gens dispensables. Pendant de nombreuses années, nous avons servis de cobayes aux expériences des États-Unis », constate Juan E. Rosario, un écologiste de longue date. Ce colonialisme territorial s’est étendu à un colonialisme économique et politique.

Colonialisme politique et coup d’État économique

C’est que Porto Rico ne fait pas parti des cinq États étasuniens. Si ses habitants disposent de la citoyenneté étasunienne et sont soumis aux lois du pays, ils ne disposent pas du droit de vote aux élections des membres du Congrès, ni à la présidentielle. Les Portoricains ne décident pas non plus de leur budget et, de fait, de leur orientation économique.

En 2016, le Congrès a adopté une mesure draconienne, la loi PROMESA, qui place les finances de Porto Rico sous l’égide du Financial Oversight and Management Board. Un conseil qui vise à superviser la liquidation des actifs de l’île dans le but de rembourser la dette de 123 milliards de dollars – dont 65 milliards jugés illégaux – qui a explosé après que les taux d’intérêts ont atteint jusqu’à 1000% (!).

Dès lors, la solution invoquée est toujours la même : baisse des dépenses publiques, suppression de milliers de postes de fonctionnaires – déjà 17 000 en 2009 –, recourt à l’emprunt et privatisations.

« Starve the beast »

Dès lors que les ressources budgétaires sont réduites, les dépenses le sont fatalement aussi et la qualité du service rendu est de moins bonne qualité. Ceci entraîne des mécontentements et justifie la privatisation des services publics. Tous les pans de l’économie risquent d’être touchés : ponts, autoroutes, ports, réseaux d’alimentation en eau et même les parcs nationaux. Le réseau électrique, lui, l’est déjà. Sachant qu’il fonctionne pour 98% avec des combustibles fossiles importés, rendant le coût de l’électricité deux fois plus élevé qu’aux États-Unis.

Par ailleurs, Porto Rico importe 85% de ses denrées alimentaires. L’île est alors intégralement dépendant de l’extérieur. Étouffée économiquement, elle voit ses habitants migrer par milliers. Ce sont plus de 200 000 personnes qui ont quitté le territoire depuis le passage de l’ouragan Maria. Et d’après le gouverneur de Porto Rico, la population de Porto Rico connaîtra une baisse cumulée de 20% durant les cinq prochaines années.

Mais, n’était-ce pas le but recherché par les « seastaders », ces habitants fortunés qui, à défaut de s’abriter de l’ouragan, voient en Porto Rico un havre de paix fiscale ? C’est la question que pose la journaliste canadienne.

Une économie du tourisme fiscal

Porto Rico est loin d’être une terra miserabilis pour les nombreux évadés fiscaux. Il faut dire que le taux d’imposition des sociétés y est plutôt avantageux : moins de 4%. Pour John Paulson, milliardaire installé à porto Rico, il n’y a pas de doute : « aucun autre endroit au monde ne vous permet de réduire à ce point vos impôts ». Une aubaine pour les « portopistes » – évadés fiscaux –, San Juan étant à 3h30 d’avion de New York. En contre partie ils doivent résider au moins 187 jours par an sur l’île.

Une économie de rente qui ne crée quasiment que des emplois précaires en très petit nombre. D’autant que tout miser sur un secteur – ici touristique –, peut s’avérer périlleux, lorsque le lieu est touché par un attentat. La Tunisie, par exemple, ne s’en est pas remise. Le constat est le même à Porto Rico avec les catastrophes naturelles. Naomi Klein prend également l’exemple, probant, de l’agriculture. La tempête a détruit 80% de la production agricole : principalement des champs entiers de bananes destinés à l’exportation. Seules les tomatillos – légumes racines – n’avaient pas été touchés, car poussant au ras du sol où sous terre. Idem pour certains panneaux solaires qui avaient résisté aux vents violents. De quoi donner des idées à de nombreux habitants.

L’union fait la force

Porto Rico dispose de terres arables et d’un climat propice pour cultiver plusieurs types de cultures, légumineuses, oléagineux, mais également la pêche. Au lendemain de la tempête, les agriculteurs et des membres de la communauté se sont entraidés face à l’aide qui n’arrivait pas et quand ce fut le cas, elle était totalement déconnectée des réalités : distribution de bonbons Skittles et de biscuits apéritifs Cheez-it. Les femmes ont eu un rôle déterminant. Dans la municipalité de Humacao, elles ont mis en communs toute la nourriture dont elles disposaient et ont préparé des repas chaud pour quatre-cent personnes par jour.

L’énergie demeure l’autre secteur clé pour retrouver plus de souveraineté. Une campagne lancée par la Casa Pueblo, un centre communautaire dédié à l’écologie, a pour objectif de faire de l’énergie solaire 50% de la production d’électricité sur l’île, en installant des panneaux solaires sur des dizaines de maisons et entreprises.

Des initiatives qui prennent du temps, là où les mouvements des capitaux vont extrêmement vite. Toujours est-il qu’à Porto Rico «  nous assistons réellement à une bataille entre la souveraineté pour tous et la sécession pour quelque-uns », constate Naomi Klein.

L’union des Portoricains suffira-t-il à permettre la possibilité d’une île ?

Pierre-Alix Pajot, Le Journal international, 3 mai 2019

Lisez l’original ici.

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