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19 octobre 2019

J’irai voter

Lundi, Francis Dupuis-Déri n’ira pas voter. Professeur de science politique à l’UQAM, ce penseur anarchiste rejette la démocratie représentative, à laquelle il préfère la démocratie directe, et trouve absurde l’idée « de se choisir un maître par le vote ». Dans Nous n’irons plus aux urnes (Lux, 2019, 194 pages), il explique les raisons de son abstentionnisme. J’ai lu ce plaidoyer avec plaisir et intérêt parce que la prose argumentative de Dupuis-Déri est limpide et vivante, mais j’irai néanmoins voter avec enthousiasme lundi.

La logique des abstentionnistes m’échappe. Même si je partage une partie de leurs constats critiques envers la démocratie élective et représentative, je récuse leur conclusion menant à l’apostasie électorale. Le parlementarisme, c’est vrai, est plein de défauts, mais le modèle qui viendrait le remplacer pour le mieux n’a pas encore été trouvé.

Comme Dupuis-Déri, je déplore le fait que notre système électoral attire trop d’arrivistes et qu’il soit parfois entaché par des fraudes. Comme lui encore, je constate que le vrai pouvoir, en certaines matières importantes, appartient trop souvent à des non-élus (hauts fonctionnaires, conseillers, organisations internationales, riches) à qui les parlementaires se contentent de servir de porte-parole, détournant ainsi le sens de la représentation. Les députés, en effet, devraient incarner le pouvoir du peuple et non représenter le pouvoir devant le peuple. Je veux, par exemple, que les élus forcent Netflix à payer ses impôts et non qu’ils m’expliquent pourquoi il est normal que les multinationales soient exemptées de ce tribut.

Pas pareils

Contrairement à Dupuis-Déri, toutefois, je n’adhère pas à la thèse selon laquelle les partis politiques seraient, au fond, « tous pareils ». Le politologue affirme, pour illustrer cette idée, que « le refrain sur l’importance des restrictions budgétaires et de l’austérité, par exemple, est repris par tous les partis ou presque depuis les années 1980 ».

À l’élection fédérale de 2015, ce n’était pas vrai. Le Parti libéral de Justin Trudeau a osé briser ce dogme, et il a gagné. Depuis, le déficit budgétaire a augmenté, mais la pauvreté a reculé. Il faut, me semble-t-il, vivre dans un monde parallèle pour croire qu’une victoire conservatrice aurait donné les mêmes résultats.

Au Québec, la victoire caquiste, en octobre 2018, a permis l’adoption de la Loi sur la laïcité de l’État. On peut être contre cette loi, mais on ne peut pas affirmer qu’une victoire libérale aurait mené au même résultat. Non, les partis ne sont pas tous pareils.

Des promesses

Les libéraux fédéraux, en rejetant l’austérité, et les caquistes, en adoptant la loi 21, ont respecté des promesses électorales. Dans Bilan du gouvernement libéral de Justin Trudeau (PUL, 2019), des universitaires, sous la direction des politologues Lisa Burch et François Pétry, en arrivent à la conclusion que ce gouvernement, malgré son abandon de la réforme du mode de scrutin et l’achat du pipeline Trans Mountain, a respecté la grande majorité de ses promesses.

Cela ne veut pas nécessairement dire qu’il mérite d’être réélu. Comme citoyen, il y a, en effet, des promesses qu’on souhaiterait voir rester lettre morte et d’autres qu’on attend en vain. On ne peut pas dire, cependant, que les promesses électorales ne sont que du vent.

Aussi, parce que les partis ne sont pas tous pareils, parce qu’ils font souvent ce qu’ils se sont engagés à faire et parce que j’ai des convictions qui sont défendues par certains partis et combattues par d’autres, j’irai voter, lundi, avec le sentiment de faire un geste politique important et nécessaire.

Voter compte

Mon vote aura-t-il un impact ? Dupuis-Déri, en accord avec son collègue André Blais, croit que non. Selon Blais, en effet, « mon vote ne peut faire la différence que si le candidat que j’appuie est élu alors qu’il aurait perdu si je n’avais pas voté ». Cette conception individualiste du vote m’apparaît très
réductrice.

Si, par exemple, les 10 000 personnes qui s’apprêtent à voter comme moi adhèrent à cette idée et décident de s’abstenir, le choix prétendu rationnel de ne pas voter, sous prétexte que mon vote est sans effet, aura un gros impact sur le résultat. Je vote, donc, et j’incite les autres à le faire pour que nous puissions, ensemble, avoir une influence réelle. L’individualisme méthodologique ne suffit pas pour évaluer la pertinence d’un vote.

L’engagement politique véritable, c’est une évidence, ne devrait pas se limiter au fait de voter, mais il ne doit pas l’exclure non plus. Entre les élections, les citoyens doivent demeurer mobilisés afin de rappeler à leurs élus d’où vient leur légitimité. Mais je voterai, lundi, en espérant faire entendre un message, en français, qui réclame plus de justice et moins de carbone.

Louis Cornellier, Le Devoir, 19 octobre 2019

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