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18 décembre 2019

Adam Gopnik, les vigueurs de l’«Hiver»

Le journaliste américain adapte ses conférences sur la saison des frimas dans un essai qui vante les rites chaleureux de la vie sociale durant cette période.

C’est la saison du silence et des absences. Pour combler le dénuement, Chaplin, dans la Ruée vers l’or, dévore le cuir de sa chaussure au milieu d’une tempête de neige. Mais s’il incarne l’hostilité du froid et la pénurie de cultures, l’hiver est aussi «synonyme de chaleur humaine». C’est la diversité de ses représentations qui habite l’essai stimulant d’Adam Gopnik, journaliste au New Yorker, né à Philadelphie et élevé à Montréal. Hiver est issu de cinq conférences tenues par l’auteur sur ce thème. En contrepartie de sa richesse et de l’enthousiasme qui le porte, le texte est dense et touffu : Adam Gopnik a beau répartir ses observations en cinq chapitres, le lecteur a l’impression que l’ouvrage n’en compte qu’un seul et qu’il fut écrit d’un unique trait de plume, tellement l’imaginaire de l’auteur est réveillé par le sujet. Reviennent à sa mémoire les films, musiques, poèmes, toiles, romans, inventions techniques et sports que l’hiver imprègne et crée. Les peintures de Caspar David Friedrich apparaissent dès les premières pages. Il était fasciné par l’hiver, sans doute en raison de la mort de son frère dans un accident de patinage. Mais représenter des étendues de neige relevait aussi pour Friedrich, selon Gopnik, d’une dimension politique : aux guerres napoléoniennes, le peintre résistait en montrant que les habitants du Nord vivaient sous un climat singulier et qu’ils avaient «un caractère trempé pour l’hiver», stable, alors que le méridional est touché par les «humeurs».

Gopnik vient du nord mais sa terre d’adoption est Paris. Fort de son expérience, Adam Gopnik remarque plus loin que la vie sociale au Canada s’intensifie en hiver au lieu de s’éteindre, parce que les amis se rendent visite en patins ou en traîneau sur la glace, avec plaisir et à toute vitesse. Les pages qui retracent l’histoire du patinage, justement, sont délicieuses. Gopnik déroule un fil conducteur original : le patin comme solution de rechange à l’activité sexuelle. Il serait une «stylisation pudique de poses sexuelles, qu’il réaffirme de façon subliminale. […] A cause du refoulement, le désir se hisse sur des patins. C’est vrai pour la sexualité des jeunes femmes du XIXe siècle et pour celle des homosexuels du XXe siècle.» Plus la société se montre permissive, plus le patin est pratiqué par les enfants et délaissé par les adultes. Dans un chapitre dédié à la fête de Noël, Adam Gopnik en retrace la généalogie. Il évoque le Cantique de Noël de Charles Dickens, qui confronte le capitalisme à la charité. Noël est un moment ambivalent : réjouissant mais également angoissant et hautement théâtral, à cause notamment des vitrines et de la façon dont nous nous montrons, les uns aux autres, que nous frissonnons. La conclusion mélancolique de cet essai est personnelle. Adam Gopnik y déclare son attachement à l’hiver et pense au temps passé. L’attirance pour la neige s’accorde avec la jeunesse et la maturité, les extrémités. Seulement, «la neige tombe et s’évanouit, au même titre que le sens, au même titre que l’amour.»

Virginie Bloch-Lainé, Libération, 18 décembre 2019

Image: Gravure du XIXe siècle. Universal Images Group via Getty

Lisez l’original ici.

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