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22 décembre 2019

Littérature: les cinq fenêtres sur l’hiver d’Adam Gopnik

Né à Philadelphie, Adam Gopnik a grandi et étudié au Canada avant de devenir, dès 1986, l’une des plumes les plus appréciées du prestigieux « New Yorker ». Amoureux de Paris, du hockey et de l’art de la conversation, il offre avec « Hiver, cinq fenêtres sur une saison », un chef-d’œuvre de non-fiction, à lire au coin du feu.

Longtemps, nous dit Adam Gopnik en ouverture de sa première « fenêtre », consacrée à « l’hiver romantique », la saison froide en Europe fut associée à la mort et au vide. Ce sont lesromantiques allemands qui lui ont redonné ses lettres de noblesse. Ainsi le peintre Caspar David Friedrich a fait de la neige le décor de plusieurs de ses tableaux. L’individu y contemple une nature impassible, propre à accueillir ses doutes métaphysiques.

L’hiver des poètes et des explorateurs

L’hiver devient ainsi l’emblème de l’âme romantique opposée à la raison des Lumières. Il y eut même pendant dix ans, nous dit l’auteur, un débat sur les Eisblumen, ces fleurs de givre qui se dessinent aux carreaux des fenêtres. À ceux qui y voyaient le signe d’une vie biologique, Goethe répondit qu’elles n’en étaient que « de simples et superficielles imitations minérales ».

Vers la fin du XIXe siècle, l’hiver habite désormais aussi bien l’imaginaire des explorateurs que celui des psychanalystes. Ces derniers comparent notre inconscient à la part cachée de l’iceberg. Ce monstre marin devait matérialiser, après le naufrage du Titanic en 1912, l’idée moderne du destin, absurde et insensé.

Si la conquête des pôles fait encore aujourd’hui rêver, c’est que son image n’a pas « sombré dans la honte » des horreurs coloniales, poursuit Adam Gopnik. Pour autant, l’explorateur Robert Peary, qui prétendit en 1909 être le premier à atteindre le pôle Nord, ne fut pas moins cupide que ces alter ego tropicaux. Quinze ans auparavant, il avait fait enlever trois météorites vénérés depuis la nuit des temps par les Inuits du Groenland qui en tiraient du fer pour fabriquer leurs outils et leurs armes. Il les vendit au Musée d’histoire naturelle de New York.

Noël à la conquête du monde

« S’il est une chose dont nous pouvons affirmer avec certitude que nous ne la fêtons pas à l’occasion de Noël, remarque l’auteur dans sa seconde fenêtre sur l’hiver, c’est bien la naissance de Jésus de Nazareth. » En effet, ce dernier serait né en septembre et la date du 25 décembre aurait été décidée arbitrairement au IVe siècle. Elle est bien proche en revanche du solstice d’hiver.

De la fête religieuse à la fête commerciale, en passant par l’imaginaire du « conte de Noël » et la fraternisation dans les tranchées en décembre 1914, l’auteur se livre alors à une rêverie érudite et tourbillonnante sur une célébration désormais laïque, qui a fait de l’hiver un rêve dans les pays où il n’existe pas.

« La fête d’hiver, écrit-il, a conquis désormais l’ensemble du continent : la neige artificielle, les faux glaçons, le givre tant prisé par Goethe vaporisé sur les fenêtres californiennes en l’honneur d’une divinité germanique que Goethe n’aurait pas pu imaginer : le père Noël. »

« Les neiges d’antan »

Des sports d’hiver, Adam Gopnik retient surtout le hockey et le patinage, dont il rappelle qu’il était autrefois une pratique beaucoup plus diffusée. « Il s’agit purement et simplement, explique-t-il, d’une question de sexe. Pour les citadins, le patinage était l’une des rares formes de flirt et d’expression de la sexualité jugée acceptable. »

« C’est vrai pour la sexualité des jeunes femmes du XIXe siècle et celle des homosexuels du XXe » poursuit-il. « Tant et aussi longtemps que les homosexuels ont été réprimés, opprimés et persécutés, le flirt homosexuel s’est exprimé sur la patinoire. »

Dans sa cinquième et dernière fenêtre, le ton se fait beaucoup plus sombre. Comment, en ce moment de l’Histoire où le dérèglement climatique nous apparaît inéluctable, ne pas songer à une possible disparition de l’hiver dans de nombreuses régions du monde ? Sans la neige, quand sera-t-il de la mémoire ? « L’hiver, écrit-il en effet, est en réalité et en secret la saison où repose notre sens du passé. »

« Mais où sont les neiges d’antan ? » chantait François Villon. Ce vers de la Ballade des dames du temps jadis semble « tout droit sorti de son cadre Renaissance pour servir de refrain moderne. » Dans un monde privé du cycle des saisons, serons-nous condamnés à un éternel présent ?

Olivier Favier, RFI, 22 décembre 2019

Lisez l’original ici.

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