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26 janvier 2013

Le Devoir, 26 janvier 2013

Depuis son accession au pouvoir, Pauline Marois affirme exercer une « gouvernance » souverainiste. Est-elle consciente que le mot « gouvernance », emprunté au management vers 1980 par les technocrates de Margaret Thatcher, suggère une privatisation néolibérale de la politique ? Alain Deneault publie Gouvernance. Le management totalitaire pour prouver que ce terme souple, à première vue inoffensif, cache une main de fer dans un gant de velours.

Adopté par la Banque mondiale dès 1989, ce mot « gouvernance » (de l’anglais governance) exprime à partir de 1995, grâce à un rapport international, l’une des idées clés de la mondialisation, avant d’entrer dans le vocabulaire officiel de l’Union européenne en 2001. Pour Deneault, il se définit sournoisement, dans le cadre d’un État, comme l’art de déréglementer l’économie, de privatiser les services publics, de mater les syndicats.

Le politologue québécois exagère-t-il en insistant sur le sens que donnent à la gouvernance ses adeptes les plus machiavéliques, distincts de ceux qui, comme Pauline Marois, se gargarisent d’un simple mot avec innocence (ou presque) ? Non. Il montre que, justement, par un emploi répété, ce terme vague, ambigu, artificiel, propre à une novlangue orwellienne, finit, à cause de son faux éclat, par remplacer, dans notre conscience anesthésiée, les mots gouvernement, politique, critique, démocratie…

Deneault souligne qu’au Canada le principal théoricien francophone de la gouvernance, Gilles Paquet (né à Québec en 1936), avoue candidement que, même en 2011, la « bonne » organisation des « principes » du système reste à trouver ! Comme par hasard, cet économiste et historien de droite fut, dès 1999, l’auteur d’un livre qui nia l’importance de notre Révolution tranquille…

Jongleur de sophismes, comme les autres maîtres de la langue désincarnée de la gouvernance, Paquet, explique Deneault, rêve « d’un monde où les dirigeants seraient supprimés, non pas en vue d’une émancipation des dominés mais parce qu’ils régneraient en le for intérieur de ceux-ci ». Souvent, les théoriciens de cette intériorisation de la tyrannie déclarent bénéficier de la caution prestigieuse de Jürgen Habermas. Or il n’en est rien.

En 2011, ce philosophe allemand, que le charme des néologismes n’arrive nullement à éblouir, a déclaré : « Le joli mot de « gouvernance » n’est qu’un euphémisme pour désigner une forme dure de domination politique. » Le terme suppose un système dont le fonctionnement, digne de l’efficacité de l’entreprise privée, fait de l’inégalité sociale une réalité qui va de soi, mais qui ne se laisse pas trop voir !

En favorisant, comme Deneault le perçoit de ses yeux de lynx, la privatisation en douce de l’État par le partenariat public-privé (PPP), la gouvernance use d’une langue astucieuse pour maquiller en évolution de la pensée critique un retour à l’élitisme du passé.

Michel Lapierre, Le Devoir

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