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20 juillet 2012

IRIS [blogue], 20 janvier 2012

Cessez d’être moyen, retournez à la base

Cette semaine, l’économiste Pierre Beaulne me disait à quel point lui déplaît l’usage du concept de classe moyenne. Il déplorait qu’un glissement sémantique ait amené des acteurs sociaux et politiques à invoquer « monsieur-madame-tout-le-monde », la « famille », puis la « classe moyenne ». Il y voyait certainement l’effet neutralisateur au sein de la population de l’identification à la classe moyenne. En effet, lorsqu’on appartient à la classe moyenne, on est « normal ». On n’est peut-être pas riche, mais au moins, on n’est pas pauvre et c’est la seule chose qui vient à compter. Les deux bouts de hiérarchie sociale deviennent des anomalies exceptionnelles dont on ne pourra jamais vraiment se défaire. Alors ça va.

Le « Petit cours d’autodéfense en économie » de Jim Stanford, récemment traduit et publié par Lux, donne plutôt raison à Pierre Beaulne. Dans cet ouvrage introductif à l’économie en général et aux rouages de l’économie capitaliste en particulier, il existe deux camps : les capitalistes et les salariés. Cette fois, l’appartenance à la « moyenne » nous place au bas de l’échelle sociale qui ne compte plus que deux échelons. Ça change la perspective.

Stanford n’est pas marxiste. Il s’inspire surtout d’un penseur associé au keynésianisme, Michal Kalecki. Mais aller plus loin chez les influences intellectuelles trahiraient le travail de Stanford qui consiste d’abord et avant tout à un retour à l’essentiel de l’économie : qu’est-ce qu’on produit et qu’est-ce qu’on fait avec. Ou dans les mots de l’auteur : « Il s’agit de principes de base permettant de distinguer, en matière d’économie, l’important de l’accessoire et le réel de l’idéologique (p. 471)». Et ça fonctionne très bien.

Le « Petit cours » s’amorce par un retour au ras des pâquerettes de l’économie (l’économie, ce n’est pas les indices boursiers, ça relève davantage de tout ce qu’on trouve autour de soi dans sa maison et dans son quartier) et des définitions (qu’est-ce que le travail, le capital, l’entreprise privé ?) puis enchaîne en introduisant ce qu’il nomme la petite boucle de l’économie (capitaliste). Elle est très simple. L’investissement d’un capitaliste (I) déclenche la production, des travailleurs reçoivent un salaire (S), les salariés et les capitalistes consomment (C) et le capitaliste obtient un profit (π) dont il peut disposer de différentes façons. Les douze chapitres suivant servent à complexifier la « boucle » en y ajoutant des pièces (la finance, la mondialisation, l’environnement, l’État, etc.).

Ainsi, Stanford résume le capitalisme à deux caractéristiques : (1) la prédominance dans une économie d’investissements privés réalisés par des capitalistes qui cherchent à réaliser des profits et (2) un travail effectué par une forte majorité de salariés (autour de 85% des travailleurs). Il reconnaît sans peine qu’il existe de nombreuses entités qui ne sont ni des investisseurs privés ni des salariés (de l’investissement public jusqu’à l’économie sociale, en passant par les travailleurs autonomes ou les petits propriétaires), mais ils ne constituent pas le cœur du système.

Chose certaine, Stanford réussi tout au long du livre à dissiper beaucoup de dogmes contemporains. Sur l’inflation par exemple. Les néolibéraux (cible continuelle de Stanford) ont imposé son contrôle très strict aujourd’hui par le biais des banques centrales. Stanford démontre clairement que les causes de l’inflation sont multiples, les conséquences aussi, et que le résultat n’est intrinsèquement ni mauvais ni bon. C’est un phénomène à peser et soupeser dans les différentes décisions politiques sur l’économie. Comme la dette, comme la répartition des surplus, comme les choix d’investissement, etc.

La dernière partie du livre dresse un bilan du capitalisme et pose la question à savoir si l’heure est à son remplacement par un autre système. Le bulletin du capitalisme ne reçoit pas beaucoup de bonnes notes, sauf en ce qui a trait à la l’innovation et la liberté de choix. Stanford est étonnamment généreux sur l’environnement en lui accordant un D (faible) plutôt qu’un E (échec), en reflet d’une tendance à marginaliser quelque peu l’environnement dans sa théorisation.

Mais en somme, le « rendement [est] nettement insuffisant ; l’élève ne réalise pas son plein potentiel économique et humain » (p. 432). C’est pourquoi deux actions simultanées sont nécessaires selon Stanford. D’abord, il y des gains énormes à réaliser à l’intérieur de ce système à la lumière de ce que l’on connaît de son fonctionnement. Ces batailles qui incombent aux salariés permettraient d’améliorer substantiellement et rapidement le sort de millions d’être humain dans le monde.

Mais le travail théorique et expérimental de celles et ceux qui œuvrent à dépasser le capitalisme est également nécessaire et même urgent. Stanford n’y voit simplement pas d’opposition. Mieux, à lire Stanford, une économie socialiste nouveau genre n’est peut-être pas si loin lorsque l’on note que des grandes entreprises contemporaine ne pourraient fonctionner sans la collaboration de milliers d’êtres humains qui ne sont pas exclusivement motivés par la recherche d’un profit, et qu’elles ne pourraient fonctionner sans une part importante de planification économique : « Si les planificateurs communistes du XXe siècle avaient su coordonner l’économie avec autant de précision et de souplesse que ne le font les Toyota et atures Wal-Mart d’aujourd’hui, le communisme ne serait sans doute jamais effondré ». (p. 461)

Alors Stanford lance le défi : Plutôt que la maximisation de la richesse de leurs actionnaires, « pourrait-on mettre sur pied des structures aussi imposantes, déterminées et efficaces, mais dont la finalité explicite serait tout autre, c’est-à-dire sociale ? (p.465)

Le «Petit cours d’autodéfense en économie » est un livre des plus utiles qui servira, espérons-le, d’introduction à l’économie pour de nombreux citoyens et citoyennes. À contre-courant de ce qu’ont distillé les néolibéraux dans la population depuis quelques décennies, il montre en douceur à quel point notre économie est bien plus une affaire de choix politiques et de valeurs que de technique.

Guillaume Hébert, blogue IRIS, 20 janvier 2012

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