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2 mai 2016

« Les hackers créent les cultures de la désobéissance dont nous avons besoin »

Gabriella Coleman s’est entretenu avec Claire Richard, pour Rue89.

« A l’heure des luttes décentralisées et des mouvements d’occupation façon “Nuit debout”, l’anthropologue Gabriella Coleman nous explique ce qu’on peut apprendre des hackers sur le plan politique.

Anthropologue de formation, Gabriella Coleman est devenue spécialiste de la culture hacker et notamment du groupe Anonymous, après avoir passé des années à étudier le monde du logiciel libre.

Elle est probablement la personne qui connaît le mieux le groupe Anonymous sans pour autant en faire partie, et son livre sur le mouvement a récemment été traduit en français.

Elle était de passage à Paris le week-end dernier, pour prononcer la conférence inaugurale du festival Hors Pistes au Centre Pompidou. Elle nous a parlé des hackers et, surtout, de leur politique, mais aussi, parce que nous étions à 500 mètres de la place de la République occupée par “Nuit debout”, de leurs liens avec les mouvements d’occupation.

“Des groupes décentralisés”, “sans leaders”, qui “préservent la conflictualité”… En lisant votre livre, j’ai été frappée par le fait que ces termes, choisis pour décrire le fonctionnement des Anonymous, s’appliquaient aussi très bien aux mouvements d’occupation de ces dernières années, et en France au récent Nuit debout par exemple. La “politique des hackers” influence-t-elle les formes d’activisme politique contemporaines ?

Gabriella Coleman : C’est vrai que ça résonne. Mais je pense que les mouvements d’occupation ont une autre généalogie – en Europe, mai 1968 et aux États-Unis les mouvements anti-nucléaire et antimondalisation, influencés par les quakers [mouvement religieux anglo-saxon, caractérisé notamment par l’absence de credo et l’égalitarisme, ndlr]. La vague récente des occupations a aussi été influencée par les printemps arabes.

De son côté, le monde des hackers a sa propre histoire de décentralisation. Mais comme ils interagissent plus que jamais avec ces mouvements, les deux commencent à s’hybrider.

Ainsi Anonymous a été présent au début d’Occupy Wall Street et les hackers ont joué un grand rôle dans le mouvement du 15 de Mayo, qui a donné les “Indignés” en Espagne. Aujourd’hui, en Espagne, vous avez le groupe X-Net, qui sont des hackers, des activistes du logiciel libre tout en étant aussi anarchiste et en faisant partie du mouvement altermondialiste.

Et c’est vrai que l’insistance sur l’idée de ne pas avoir de chef, de “faire” plutôt que se poser des questions théoriques avant d’agir, qu’on retrouve dans les mouvements d’occupation, ce sont aussi des points très importants de l’éthique hacker. Mais les deux tendances peuvent exister indépendamment.

Comment les hackers, centrés au départ sur des questions de logiciel ou d’informatique, se sont-ils mis à s’intéresser à la politique ? 

La culture des hackers a toujours été politique, au sens où leurs pratiques et façons de faire étaient en elles-mêmes politiques. Par exemple, dans le monde des logiciels libres, le fait de dire : “On n’aime pas le système des brevets et des copyrights, on va créer notre propre système juridique” [qui sera la licence libre et les creative commons, ndlr]. Ou celle d’entrer dans les systèmes informatiques juste pour la beauté du geste. Mais pendant longtemps, ces mouvements sont restés concentrés sur les questions de technologie, même s’ils pouvaient être des sources d’inspiration au dehors.

C’est Wikileaks qui a été le tournant. Soudain, un hacker, Julian Assange, est devenu un acteur géopolitique mondial, dont on parlait dans tous les grands médias internationaux. Je n’aurais jamais pu demander à mon père s’il avait entendu parler de Phil Zimmerman [l’inventeur du système de chiffrement PGP, ndlr] alors qu’aujourd’hui il n’arrête pas de m’envoyer des mails pour me parler de Julian Assange, qu’il adore…

D’une politique très centrée sur les problématiques internes au monde des hackers on est alors passé à une politique significative sur le plan géopolitique. Wikileaks, Chelsea Manning, Edward Snowden… ont inspiré beaucoup de gens dans le monde du hacking. Bien sûr, il y avait déjà des acteurs mus par des causes plus larges. Indymedia a été créé par des hackers, par exemple, qui œuvraient pour la justice sociale. Mais il y a aujourd’hui une masse critique qui n’existait pas il y a vingt ans. »

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Claire Richard, Rue89, 30 avril 2016.

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