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10 novembre 2007

Les rites initiatiques des Patriotes

Prêter un serment secret à genoux, les yeux bandés. Pour être reconnu par un frère, se gratter la narine gauche et dire : « Voilà un beau temps pour le quantième du mois ! » Ne rien révéler de la loge, sous peine d’avoir la gorge tranchée. Écouter le discours que le chef, armé de deux pistolets, prononce à cheval. Attendre des États-Unis du renfort et des armes. Puis, au bord du Saint-Laurent, une république indépendante naîtra !

C’étaient le cérémonial et le programme politique des Frères Chasseurs, une société secrète fondée principalement par les médecins Robert Nelson et Cyrille-Hector-Octave Côté, l’étudiant en droit Édouard-Élisée Malhiot, le notaire Chevalier de Lorimier.

Fer de lance du second soulèvement des Patriotes, celui de 1838, l’organisation hiérarchisée des conspirateurs devient la matière du tome II d’Insurrection, de Georges Aubin et Nicole Martin-Verenka. Le volume reproduit 610 déclarations faites par les suspects pour se soumettre aux exigences des autorités britanniques.

Les deux érudits ont pris soin d’annoter les documents en les situant dans le contexte de l’époque. Malgré son austérité, leur livre nous fait rêver.

Les suspects, analphabètes pour la plupart, s’en tiennent souvent à la dénégation à cause de la menace judiciaire qui pèse sur eux. Mais certains se montrent loquaces. Ils nous dévoilent le caractère initiatique, aventureux, romantique et quasi sacré de la cause révolutionnaire qu’ils défendent plus ou moins consciemment.

Un courant international

Les propos sur le rituel et les buts des conjurés font penser à des pages de Stendhal, écrivain ignoré au Bas-Canada mais qui a évoqué, dès 1829, dans la nouvelle intitulée Vanina Vanini, les conspirations des Carbonari, société secrète semblable à celle des Frères Chasseurs. Né en Italie pour y lutter notamment contre la domination impériale autrichienne, le carbonarisme a essaimé en France, sous le nom de charbonnerie, pour y combattre la royauté pendant la Restauration (1814–1830).

D’un point de vue symbolique au moins, nos Patriotes s’inscrivent dans un courant international axé sur la pensée libérale, la démocratie et le principe des nationalités. En s’opposant à la couronne britannique, à l’exemple des Américains libérés des Anglais dès 1776, les Frères Chasseurs participent ingénument à la liturgie laïque d’une Europe qui tente encore, après 1830, de s’affranchir des monarchies.

Stendhal (1783–1842), le plus novateur des romanciers français du XIXe siècle, dont on découvrira la modernité subtile seulement après 1880, s’aperçoit que la révolution démocratique, sous-jacente à La Chartreuse de Parme et au reste de son oeuvre, dépasse le cadre étroit de la politique. Cette révolution annonce la fin de la sujétion de l’individu à l’ordre social traditionnel, bouleversement si profond qu’il suppose une initiation intérieure à un nouvel art de vivre.

Malgré l’échec de leur conjuration, le caractère épique et mystérieux du rituel initiatique des Frères Chasseurs suggère chez leurs chefs, un peu comme chez les héros stendhaliens, la présence du sentiment confus et désespéré de devancer l’histoire.

Michel Lapierre, Le Devoir, 10-11 novembre 2007

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