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1 septembre 2007

Pierre Bourgault : Le franc-tireur

Quatre ans après son décès, l’intellectuel, polémiste, tribun et communicateur Pierre Bourgault (1934–2003) continue de fasciner. L’historien, journaliste et directeur des pages culturelles du quotidien Le Devoir, Jean-François Nadeau, publie cet automne une toute première biographie de Bourgault jetant un éclairage nouveau sur ce personnage complexe qui fut au cœur de notre histoire politique et sociale.

Il arrive que les journalistes et les historiens s’intéressent à des sujets très éloignés de leurs champs d’intérêt. Jean-François Nadeau, quant à lui, a choisi un sujet on ne peut plus proche, en replongeant littéralement dans sa jeunesse estrienne : « J’ai grandi dans le même patelin que Bourgault, Cookshire, dans les Cantons-de-l’Est. Ses parents habitaient exactement en face des miens, rue Craig Sud. Un jour, un oncle à moi, un monsieur sensé, très calme, posé, est arrivé à la maison avec des grands yeux et a annoncé : “Pierre Bourgault est en train de prendre le thé sur la terrasse avec sa mère !” Et je me souviens de m’être dit : “Mais qu’est-ce que ça peut bien faire que quelqu’un prenne le thé en face de chez nous ?” C’est bête, mais c’est vraiment une des images de mon enfance qui m’ont le plus marqué. »

Même si ce souvenir cocasse n’est pas à proprement parler l’origine de cette monumentale biographie, l’auteur admet volontiers qu’il a pu conditionner son regard sur son sujet. Et puis les hasards de l’existence ont fait que les chemins de Nadeau et de Bourgault se sont croisés à plusieurs reprises au fil des ans : « J’ai eu souvent affaire à lui dans ma vie professionnelle ; comme éditeur, c’est moi qui ai fait le choix de textes de son dernier recueil, parce que c’était une tâche qui ne l’intéressait pas vraiment. Avant ça, comme journaliste, je l’avais souvent interviewé. C’est donc quelqu’un qui a toujours été un peu là et quand je le retrouvais, il y avait toujours entre nous cette complicité due à nos origines communes. »

Nul doute que Pierre Bourgault représentait un sujet en or pour un livre ; mais de l’historien ou du journaliste, lequel des deux Jean-François Nadeau était le plus intéressé à traduire la fascination première pour le personnage de cette biographie ? « Sûrement l’historien, répond-il. Mais ça s’est passé de manière très étrange. À la mort de Bourgault, j’ai eu l’idée de lui consacrer un cahier spécial au Devoir, ce qu’on a fait. Et le lendemain de la publication, je suis parti aux Îles de la Madeleine avec mon portable et tous les textes qu’on avait publiés. J’adore mon métier de journaliste, mais quelque chose en moi est toujours plus attiré par l’histoire. Alors je m’étais dit que je profiterais de mes vacances pour rédiger un article pour une revue d’histoire sérieuse. Au bout de deux semaines, j’avais écrit une cinquantaine de feuillets et j’ai vite compris que ce ne serait pas un simple article, c’était déjà trop long et j’étais encore loin d’avoir épuisé le sujet. »

L’homme rapaillé

De là la décision d’entreprendre cet essai biographique, fort différent de ces ouvrages un peu romancés auxquels les biographes québécois nous ont habitués depuis quelques années : « Je me suis pris au jeu d’interroger des gens qui avaient connu Bourgault. Je suis allé passer mes vacances sur la Côte-Nord, l’année d’après, pour y suivre sa trace, puisqu’il avait été candidat là-bas lors de la campagne de 1966. Je suis retourné dans mon village pour y recueillir d’autres témoignages. J’ai consulté des tonnes de documents d’archives. Et j’ai même retracé dans les Bahamas sa première grande flamme, au début des années cinquante, qui était une femme et non un homme. Parce que Bourgault ne révèlera son homosexualité que plus tard. Je ne crois pas avoir fait une biographie à l’américaine, je ne cherchais pas à tout dire sur Bourgault autant qu’à dire vrai sur lui. Je voulais en tous cas mettre à jour la complexité de sa personnalité, montrer le plus de facettes possible de lui sans prétendre restituer sa vérité parfaite ; je crois que personne ne pourrait le faire. Je n’ai rien inventé, mais je me permets de montrer comment Bourgault savait prendre des libertés avec sa propre histoire, comment, à la manière d’André Malraux, il a parfois eu tendance à réinventer son passé, pas tant pour le magnifier que pour le rendre plus cohérent avec la direction qu’il voulait donner à sa vie. »

Sur le plan de la politique en tout cas, l’historien-biographe est le premier à documenter la guerre qui opposa Bourgault, fondateur du Rassemblement pour l’indépendance nationale, à son contemporain René Lévesque : « J’ai toujours pensé que Bourgault exagérait cette animosité, cette rancoeur à son égard qu’il prêtait à Lévesque, mais en fait il les minimisait. C’est assez épouvantable de le constater. » Avec le recul que permet le passage des années, et compte tenu de ce conflit entre Bourgault et Lévesque, faut-il déduire que la disparition du RIN au profit du Parti québécois était une erreur ? « Il y a plusieurs écoles de pensées sur cette question, croit Jean-François Nadeau. A posteriori, beaucoup de gens prétendent qu’on n’aurait jamais dû saborder le RIN parce qu’il proposait une option plus riche, plus à gauche socialement, plus articulée que le PQ. Mais au moment où ça s’est présenté, les circonstances étaient différentes. Le RIN était déchiré par des tendances internes divergentes et en pratique, au fur et à mesure que le Mouvement pour la souveraineté-association de Lévesque prend de l’ampleur, le RIN se vide peu à peu de ses membres déjà peu nombreux. L’analyse de Bourgault, D’Allemagne et consorts était juste : pour en arriver à la souveraineté, il fallait une union de toutes les forces, même si les points de vue n’étaient pas forcément les mêmes. »

Mais, selon son biographe, que devrait retenir l’Histoire de ce personnage complexe ? « Son exceptionnelle fidélité à lui-même et à ses idées et idéaux. Bourgault, c’est un homme qui dit ce qu’il pense et qui pense ce qu’il dit, en allant toujours droit au but. C’est assez peu fréquent, et j’imagine que c’est ce qu’on retiendra plus volontiers de lui, estime Jean-François Nadeau. Mais peut-être qu’en lisant mon livre, on découvrira d’autres facettes de l’homme ; il était doté d’un sens de la justice sociale admirable qui le rapproche de Michel Chartrand, à qui il a dédié des livres. On peut aussi penser à sa foi étonnante en la jeunesse. Et même si les méchantes langues diront qu’il aimait la jeunesse pas seulement pour l’espoir qu’elle portait en elle, il avait une réelle foi en l’avenir des jeunes, ce dont peuvent témoigner tous ses anciens étudiants en communication à l’UQÀM », conclut-il.

Stanley Péan
Le Libraire, septembre 2007

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