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16 septembre 2010

Que reste-t-il du cosmos amérindien ?

Ce livre traite du rapport qu’entretiennent les Indiens Nahuas de la Sierra de Puebla (Mexique) avec leur environnement. Mais l’ouvrage retrace aussi l’évolution des positions d’un anthropologue marxiste confronté, pendant une trentaine d’années d’études dans la région, à la richesse et à l’altérité des représentations cosmologiques que les Amérindiens Nahuas portent sur le monde. En même temps, il rend compte d’une collaboration avec un groupe d’intellectuels Nahuas, au sein d’une organisation autochtone vouée à la réappropriation de la culture amérindienne, le Taller de Tradición Oral. Une initiative tout à fait intéressante et sans doute encore plus complexe que l’auteur ne l’explique.

La médiation entre le corps humain et le cosmos dans le rapport à l’environnement constitue un thème central dans l’ensemble des cosmologies mésoaméricaines, décliné en autant de variantes qu’il existe de groupes amérindiens au Mexique, sans doute l’anthropologue ne le souligne-t-il pas assez. Cela dit, Pierre Beaucage livre au lecteur un exposé minutieux de cette thématique, à la fois très détaillé, agréable à lecture et joliment illustré, en s’appuyant sur une connaissance intime de la langue nahuat et des catégories autochtones permettant de classer les plantes, les animaux mais aussi les maladies et leurs symptômes. À ce titre le livre n’intéressera pas seulement les spécialistes mais tout lecteur curieux de comprendre comment un peuple amérindien maintient et renouvelle un riche héritage de représentations cosmologiques et de connaissances concrètes dans un monde dominé par les rapports marchands, sans adopter pour autant les valeurs d’individualisme et d’accumulation qui vont avec. Les spécialistes pourront regretter le manque de références et de dialogue avec d’autres études portant sur le même sujet en Mésoamérique et notamment, dans la vaste région de la Sierra Madre Orientale, des groupes popolucas au sud à l’aire huastèque au nord du pourtour du golfe du Mexique. Car l’étude de Beaucage révèle de nombreuses dynamiques qui sont communes aux tensions créatrices qu’entretiennent ces peuples entre leurs savoirs sur l’environnement et la négociation de l’identité ethnique dans la modernité mondialisée.

Enfin, au-delà de l’intérêt régional de l’ouvrage, c’est le questionnement du rapport entre l’anthropologue et la population qui l’accueille qui retiendra l’attention. L’inclusion en tant que coauteurs des membres d’un collectif d’intellectuels amérindiens avec qui Beaucage a travaillé est tout à fait louable. Mais l’auteur ne dessert-il pas son ambition de leur rendre tout leur crédit lorsqu’il revient au singulier de la première personne pour les sujets qui relèvent le plus clairement des débats intellectuels en anthropologie (les intellectuels locaux en seraient-ils implicitement exclus)? Le livre a le mérite de soulever explicitement cette question du rôle des interlocuteurs privilégiés (les « informateurs » de l’époque coloniale) dans la production des œuvres ethnographiques.

Nicolas Ellison, L’Humanité

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