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24 janvier 2016

Le Couac, novembre 2009

Livre référence:
Les États-Désunis

Je veux l’avoir et je l’aurai…

Je voulais recenser le dernier de Nadeau, sur Rumily. Les critiques étaient bonnes, j’avais aimé son Bourgault. Je suis comme ça, toujours le meilleur pour Le Couac. Quand je lui demande de m’envoyer le bouquin, Mark de chez Lux me dit : « Tu n’as pas reçu Les États Désunis, personne n’en parle et pourtant c’est majeur. » Je l’avais bien reçu il y a quelque temps, mais je n’avais pas été tenté par la couverture un peu drabe. Je suis comme ça, bêtement influençable.

Tout ça pour dire, il avait raison Mark. Majeur ce bouquin. Captivant. Écrit par un Vladimir Pozner tout a fait remarquable et dont j’ignorais le nom avant de commencer la lecture, Les États-Désunis trace le portrait d’une Amérique aux prises avec la crise des années ’30. Ça valait clairement la peine de rééditer cet ouvrage 80 ans après sa première publication.

Poète en Russie, romancier en France, scénariste aux Etats-Unis, Pozner est aussi militant anti-fasciste, anti-colonialiste et communiste. Naviguant entre littérature et politique, son parcours lui vaudra, entre autres, de subir un attentat de l’OAS (Organisation armée secrète – Groupe d’extrême-droite militant pour la préservation de l’Algérie Française) en 1962 qui le plongera dans un long coma. Il traverse le vingtième siècle (de 1905 à 1992) pour y croiser Gorki, Maïakovski, Chagall, Brecht, Buñuel, Chaplin, Oppenheimer, Picasso et bien d’autres. Il écrit les États-Désunis en 1936 et le publie deux ans plus tard.

On nous lance en préface qu’il s’agit d’un « portrait cubiste de l’Amérique ». Peut-être. À la lecture on découvre surtout un livre-clip, un roman-documentaire ou un scrapbook-idéologique. D’anecdotes en courrier du coeur, d’entrevues en impressions, de carnet de notes en récits, du roman à l’essai, toutes les formes y passent alors qu’une thèse reste. Pas tant une thèse qu’une conviction, celle que la véritable histoire s’écrit dans le quotidien des gens ordinaires, dans tout ce qu’il contient de lutte et de rapport de force, mais aussi d’atmosphère et d’ambiance. « C’est ça la vie : un tablier avec des poches pour les brosses de l’aspirateur, et une femme qui coud et qui tricote, et deux grandes filles qui sont obligées de travailler, et les courses, les sourires, les flatteries, à longueur de journée pour placer une commande, et les portes qu’on vous claque au nez et les années qui passent. »

La plume à la fois matérialiste et humaine de Pozner s’attache autant à revenir sur les traces de Sacco et Vanzetti (morts depuis à peine dix ans à l’époque) que de tenter de nous faire un exposé sur les origines du gangstérisme aux Etats-Unis et son lien avec la façon particulière dont s’organise la production des journaux à Chicago. Ce regard froid et aromantique du gangstérisme pourrait être extrait tel quel et présentée à des étudiant-e-s en sciences sociales comme exemple de recherche terrain utilisée avec force de style.

L’intuition la plus brillante de Pozner tient probablement à la part importante qu’occupent la publicité et les petites annonces dans son livre, tout en restant des clins d’œil en filigrane qui n’occupent pas une section spécifique. Cette importance cruciale que joue la pub et les relations publiques dans la trame du 20ième siècle est mise en valeur par l’attention qu’il y porte. Le seul fait qu’il retranscrive ces textes éphémères destinés à s’imprimer dans notre esprit sans que nous nous en souvenions nommément, nous dévoile bien leur mécanisme. En parsemant son écrit de ces phrases insipides, il nous rappelle à quel point cette tapisserie de notre quotidien en donne toute la couleur.

En suivant Pozner dans ses États-Désunis on se régale aussi d’entrevues avec John Dos Passos, Michael Gold et Tom Mooney, personnages subversifs de cette époque de crise. Mieux encore, on savoure le récit de la grève des mineurs du district de Harlan aux Etats-Unis (qu’a mis en images le très bon film Harlan County USA) narré par Tante Molly, une born-again communist sage-femme et infirmière qui harangua les mineurs et, une fois expulsée du district, les foules new-yorkaises tout en mettant au monde plus de 900 enfants.

Bien sûr, on peut lire ce livre pour faire le lien avec la crise d’aujourd’hui, mais ce n’est peut-être pas, au fond, une si bonne idée que cela. Prenons-la cette œuvre pour ce qu’elle est et non par pour ce qu’elle devrait être aujourd’hui. Il s’agit d’un regard majeur sur un moment-pivot du siècle dernier, à travers un kaléidoscope littéraire et politique enivrant.

POZNER, Vladimir, Les États-Désunis, Montréal : Lux, 2009, 355 p.

Simon Tremblay-Pepin
Couac, novembre 2009

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