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24 janvier 2016

Revue Dissidences, avril 2010

Livre référence:
Révolutionnaires du Nouveau Monde

L’ouvrage est bref, dense. Il s’entend, selon les souhaits de Michel Cordillot, comme une introduction à La Sociale en Amérique, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier social francophone aux États Unis, 1848-1922. Un texte pour introduire un dictionnaire, si monumental soit-il ? Inversons la proposition, le dictionnaire supplée cette brève introduction, explore les facettes des silhouettes militantes –fugitives ou plus durables dans le corps du récit. Le dictionnaire renchérit donc l’intérêt de ces pages, a posteriori ou au cours de la lecture, pour le néophyte, le chercheur.

Cette brève histoire du mouvement socialiste francophone aux États-Unis -et ses marges canadiennes parfois- dépayse. D’emblée Michel Cordillot l’introduit par une réflexion sur l’ethnicité. Ces militants francophones immigrés, en nombre restreint pour s’inscrire dans la perspective d’ensemble de réflexion sur la mouvance socialiste aux États-Unis, importent car leur étude, empruntant parfois au registre de la micro-histoire, repère « des problèmes liés à l’immigration de masse et au processus d’insertion des migrants dans leur société d’accueil (p 17). Pour le lecteur franco-centré, peu au fait de l’histoire des États Unis, ce décentrement de l’analyse par l’ethnicité au sein du Nouveau Monde permet d’entrevoir d’autres vertus de l’histoire sociale appliquée au militantisme. La question linguistique domine, elle vaut trait d’union dans ce milieu des migrants francophones, souvent mineurs et nomades du fait des vicissitudes du métier et des aléas militants. La langue, donc le journal. Repérant une évolution militante de l’anarchisme au socialisme, Michel Cordillot ne cesse de souligner l’importance des feuilles militantes dans le développement de ce militantisme. Sur cet horizon journalistique, la personnalité de Louis Goaziou s’affirme. Infatigable journaliste de la cause anarchiste, puis socialiste, son rôle dans l’animation de L’Union des Travailleurs explique le basculement de l’anarchisme au socialisme, permet d’entrevoir comment se tisse la trame d’un militantisme socialiste francophone au sein d’un monde anglo-saxon. Les chapitres 3 (L’Union des Travailleurs et ses lecteurs), 4 (Elargir et fédérer l’action des socialistes) participent autant d’une histoire politique que d’une histoire de la presse. Le journal informe et construit un regard socialiste sur le monde, comme il unit et, par le biais du courrier des lecteurs, relie à d’autres rameaux familiaux restés sur les rivages de la Vieille Europe. En filigrane, Michel Cordillot montre comment ces militants, notamment les exilés de La Commune, restent attentifs aux évolutions idéologiques de leur patrie d’origine : l’anarchisme, le syndicalisme révolutionnaire (Le Père Peinard est l’une de leur lecture), le socialisme. L’argument de l’ethnicité mesure alors comment, peu à peu, ces liens se désunissent. Militants d’une communauté numériquement restreinte, ils en composent souvent les hérauts, exposant les doléances, constituant ainsi les passeurs d’une communauté francophone à la société américaine qu’ils souhaitent contraindre à « offrir un meilleur sort aux déshérités (p 14) ». Et l’on voit ainsi se dessiner la perspective, consacrée au tournant de 1910, d’une fédération de langue (française) au sein du Parti socialiste d’Amérique (PSA). L’engagement vaut là américanisation, ainsi que le démontre par touches successives l’auteur. Militer serait ainsi s’intégrer au pays d’accueil et, peu à peu, s’éloigner de la patrie d’origine ; militer c’est alors, dans la perspective socialiste, voter, représenter donc être naturaliser. Août 14 brise net ce mouvement. Parce qu’ils sont souvent originaires du Nord Pas-de Calais, occupé, les militants francophones, venus au socialisme par le métier de mineur et ses réseaux, se rallient à la problématique de la Défense Nationale, se désaméricanisant et rompant avec le PSA. Le socialisme francophone en terre américaine s’étiole alors, avant de disparaître au moment où s’instaure de drastiques quotas d’immigration aux Etats Unis (1921, 1924).

Cette brève introduction conte donc un échec collectif -celui des militants socialistes francophones à transformer le Nouveau Monde- et une réussite individuelle –leur insertion dans la société américaine au prix de la défaite politique. Au-delà de ce premier objet, le livre de Michel Cordillot par sa réflexion sur ethnicité et militantisme, invite à reconsidérer des liens plus complexes qu’il n’y parait dès-lors qu’ils s’entrevoient des rives du Nouveau Monde et s’appliquent au vif du mouvement socialiste francophone.

Michel Cordillot, Révolutionnaires du Nouveau Monde. Une brève histoire du mouvement socialiste francophone aux Etats-Unis (1885-1922), Paris, Lux, 2010. 210 p, 13€.

Vincent Chambarlhac, Dissidences,
Avril 2010

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