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5 septembre 2017

En vedette dans nos librairies? Encore plus de vedettes!

En racontant sa vie banale, le journaliste Hugo Meunier raille, dans Infiltrer Hugo Meunier, la vedettisation d’un monde éditorial où autobiographies, témoignages de vedettes et autres récits de vie se multiplient.

Le passage compris entre les pages 61 et 82 du nouveau livre d’Hugo Meunier est drôlement soporifique. Nous nous permettons de l’écrire parce nous vous devons la vérité, mais aussi parce qu’Hugo Meunier y ridiculise à dessein la banalité de certaines parutions que mettent en marché des vedettes comme la chanteuse Ima, le comédien Patrice Coquereau ou la concurrente de la téléréalité Loft Story Elisabetta, un genre ayant généreusement fleuri en librairies au cours de la dernière décennie.

« Il y a plusieurs de ces livres qui sont profondément plates », observe l’ex-journaliste de La Presse, aujourd’hui gestionnaire au sein de l’équipe numérique de Québecor, qui relatait en 2015 dans Walmart, journal d’un associé ses trois mois comme employé du géant des bas prix.

« Ces gens-là sont tellement habitués à parler partout dans les magazines de la rentrée scolaire de leurs enfants, à partager leurs bonnes adresses, à énumérer leurs trucs pour trouver l’amour parfait. Peut-être qu’ils finissent par se sentir investis d’une mission qu’on ne leur a jamais confiée quand ils se disent : “Tiens, je vais raconter ma bipolarité” ou “Tiens, je vais raconter ma grossesse difficile” [comme l’animatrice Marie-Claude Barrette dans La Couveuse]. »

En bon journaliste d’infiltration, Hugo Meunier se prête donc lui-même au jeu d’un récit de soi parfois réellement bouleversant (le chapitre sur le suicide d’un ami). Il consacre néanmoins l’essentiel de son essai à s’interroger sur, en vrac, la taille de l’espace médiatique qu’occupent les vedettes, la minceur anorexique du propos de certains de ces ouvrages visiblement torchés sur le coin d’une table, ainsi que la marchandisation de l’émotion sur l’autel de l’ego.

Carrières vacillantes

Défibrillateur contribuant à ressusciter des carrières vacillantes, l’écrit biographique permet d’abord et avant tout de venir en aide à son prochain, plaide l’humoriste Maxim Martin entre les pages d’Infiltrer Hugo Meunier, en brandissant les nombreux courriels émus que lui font parvenir les lecteurs d’Excessif, son livre-témoignage largement articulé autour de ses problèmes de toxicomanie. Un argument auquel seuls les coeurs de pierre pourraient demeurer insensibles.

« Je suis convaincu que Maxim Martin ne ment pas. Ces livres répondent, oui, à un besoin », admet Meunier, en évoquant du même souffle l’exemple de la première biographie de la chanteuse Nathalie Simard, dont l’effet positif s’était manifesté jusque dans les CALACS (Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel). Un exploit d’une noblesse dont pourrait plus difficilement se revendiquer Un like à la fois, biographie précoce de la jeune vingtenaire Noémie Dufresne, célèbre pour les égoportraits dont elle mitraille ses admirateurs sur les réseaux sociaux.

« Il ne faudrait pas que les vedettes nous prennent pour des imbéciles, insiste Meunier. Ce n’est pas juste par altruisme qu’ils font des livres. Il y a d’autres motifs qui se cachent derrière ces entreprises. »

Les vedettes, des voleurs d’espace ?

À la fin des années 1990, le comédien Hugo Dubé (Octobre, Ramdam, Série noire) s’imagine conférencier. Une démarche semblable à celle amorcée par Marcel Leboeuf à la même époque et à laquelle l’humoriste Jérémy Demay emboitait le pas en 2015 avec la parution de son livre à succès La liste, inspiré d’un épisode dépressif.

Et si la nature incertaine du travail d’artiste jouait un rôle important dans le phénomène que dissèque Hugo Meunier ? « En tant que comédien, tu ne peux pas demeurer cloisonné. Il faut que tu puisses t’ouvrir au plus grand nombre de possibilités. Comme le téléphone sonnait moins à un certain moment, je me suis mis à réfléchir à mon avenir. C’était dans l’ordre des choses de donner des conférences, parce que c’est ce que je fais depuis plus de trente ans, communiquer », confie Dubé, qui lançait en 2016 La créativité a quatre lettres : VOUS, guide issu d’une conférence parcimonieusement émaillée de quelques brefs épisodes personnels, insiste son créateur.

Richard Turcotte nage dans le bonheur. Vous le savez sans doute déjà si vous avez lu Être l’artiste de sa vie (auquel Hugo Meunier assène une ou deux vannes). Aux inquiétudes de ceux pour qui les vedettes qui signent des livres arrachent à d’authentiques auteurs l’occasion de parapher un contrat avec une grande maison d’édition, l’animateur de l’émission Ça rentre au poste sur les ondes d’Énergie rappelle que son livre n’avait aucune prétention littéraire. « Si tu veux lire un roman, tu vas vers David Goudreault, pas vers moi ! »

L’acolyte des Grandes Gueules fait aussi valoir que c’est tout le vedettariat qui embrasse des stratégies de mise en scène de soi. « Quand Marc Cassivi dit à Hugo Meunier que Véro ne ferait jamais de livre comme ça parce qu’elle n’a pas besoin de cette visibilité, il oublie que Véro se raconte déjà dans son magazine, qu’elle monte sur scène avec son chum et qu’elle parle de sa vie de femme d’affaires dans Véro Inc. »

Vaincre la bulle

S’il n’est peut-être pas aussi difficile que le suggère Hugo Meunier de faire publier une oeuvre littéraire au Québec, attirer l’attention des médias et du public représente un considérable défi, note l’auteur Éric St-Pierre, dont le roman Comment écrire un best-seller parodie un phénomène cousin des autobiographies de personnalités connues, celui des guides d’écriture de livres à succès. L’érosion de l’espace médiatique dévolu à la littérature témoigne cependant de plusieurs facteurs, que l’on ne pourrait réduire à l’omniprésence des vedettes.

« On a beaucoup relevé pendant la dernière campagne présidentielle américaine comment nos bulles partisanes se referment de plus en plus, souligne-t-il. À mes yeux, c’est un symptôme de notre désir en tant qu’humain de rester près de notre famille. Comme les vedettes qu’on voit le plus souvent deviennent un ersatz de famille, on va se diriger plus naturellement vers ces gens qu’on connaît, vers leurs livres. C’est une bonne chose de prendre conscience de cet instinct pour davantage chercher à aller vers la nouveauté, vers l’autre et pour davantage se demander, comme le faisait jadis Michel Louvain, qui est la belle inconnue. »

Dominic Tardif, Le Devoir, 5 septembre 2017

Photo : Annik MH de Carufel / Le Devoir

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