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1 avril 2006

À Bâbord !, avril-mai 2006

Cauchemar totalitaire

Il y aura cet été une date qui, sans nul doute, sera commémorée « officiellement », du moins en Espagne. En effet, le 18 juillet, il y aura de cela soixante-dix ans, les militaires espagnols se soulevaient contre le gouvernement légitimement élu. C’était le début d’une atroce guerre civile qui allait durer trois ans et qui, avec l’implication d’États comme l’Allemagne nazie, l’Italie fasciste ou l’URSS, devait constituer le prologue de la Seconde guerre mondiale. Cependant, derrière cette vision toute officielle des faits, tout un pan de l’Histoire est trop souvent occulté. Comme le montre Louis Gill (à la suite de bien d’autres) dans son ouvrage George Orwell : de la guerre civile espagnole à 1984, il y eut plus qu’une « simple » guerre en Espagne car, dans les zones dites républicaines, on assista à un formidable mouvement de changements sociaux où la classe ouvrière (mot qui n’est plus à la mode, n’est-ce pas ?) tenta de reprendre en main l’appareil économique en vue de le socialiser. Cet élan, dont l’écrivain britannique George Orwell rend compte dans les premières pages de son livre Hommage à la Catalogne, va rapidement être brisé non seulement par les militaires fascistes mais aussi par l’action d’un des seuls alliés de la République, l’URSS stalinienne.

Gill montre bien comment la direction stalinienne, avec l’aide du Parti communiste espagnol, importa en Espagne les méthodes totalitaires dont elle usait contre les dissidents soviétiques. En prétextant qu’il fallait d’abord lutter contre le fascisme puis, après, faire la révolution, on écrasa méthodiquement les conquêtes révolutionnaires (entreprises et terres collectivisées, milices populaires, etc.) ainsi que les organisations qui tentaient de poursuivre le processus dont la Confédération nationale du travail (CNT anarcho-syndicaliste) et le Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM). C’est dans les milices de cette dernière organisation qu’Orwell combattit durant son séjour en Espagne. Il fut le témoin de cette lente érosion de la révolution jusqu’à l’insurrection de mai 1937, à Barcelone, où, à la suite d’une provocation stalinienne, les ouvriers et ouvrières prirent la rue. Abandonnés par les directions de la CNT et du POUM, ils ne purent que déposer les armes, défaite qui ouvrit définitivement les portes à la contre-révolution stalinienne, prélude à la victoire du fascisme en 1939.

Orwell put assister, en première ligne, au déploiement de l’arsenal répressif des staliniens : prisons clandestines, disparitions de militants, usage de la torture à large échelle, arrestations des proches de militants recherchés, calomnies et propagande démentielle. Dans ce dernier cas, l’idée de la Novlangue qu’on retrouve dans son roman 1984, vient en droite ligne de la propagande stalinienne utilisée en Espagne où une défaite devenait une victoire et où des militants, ayant combattus bravement le fascisme, se retrouvaient étiquetés d’espions à la solde des militaires ou de l’Allemagne nazie.

Pour Louis Gill, il est clair que c’est de son expérience espagnole et du stalinisme qu’Orwell s’est inspiré pour écrire ses deux romans les plus célèbres 1984 et La ferme des animaux. Cette dénonciation du stalinisme a été, par ailleurs, toujours en lien avec la défense du socialisme démocratique dont Orwell avait eu un avant-goût dans les rues de Barcelone.

Pour nous, vivants du XXIe siècle, en quoi l’œuvre de Orwell peut-elle nous interpeller ? D’abord, comme conclut Louis Gill, en constatant que la Novlangue n’est pas morte, elle s’est modernisée en prenant les oripeaux du néolibéralisme, réduisant l’humain aux seules logiques de la marchandise. Il nous reste donc, à la suite d’Orwell, à promouvoir toutes les formes de dissidence aptes à briser le consensus dominant. À ce titre, l’ouvrage de Louis Gill, en extrayant de la mémoire historique le souvenir de la révolution espagnole et de sa défaite, constitue un outil dans ce combat.

Christian Brouillard
À Bâbord !, avril-mai 2006

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