ACTUALITÉS

27 janvier 2019

Apprendre de l’expérience portoricaine

Je me souviens que dans les années soixante-dix et quatre-vingt, l’ambassadeur cubain auprès de l’ONU, Ricardo Alarcon, revenait à la tribune, année après année, pour dénoncer « el caso colonial de Puerto Rico ».

Porto Rico, qui détenait un statut d’État libre associé, comme on le disait à l’époque, n’était ni plus ni moins qu’une colonie moderne des États-Unis, avec tout ce que cela signifie de mépris et de racisme, raconte l’auteure Naomi Klein dans son essai Le choc des utopies. Un cas colonial qui dure depuis 130 ans. En plus, les États-Unis y avaient installé une base militaire stratégique.

Lorsque s’abat dans les Caraïbes, en septembre 2017, l’ouragan Irma, Cuba est durement touché et les inondations côtières atteindront des niveaux jamais vus. On déplorera une dizaine de morts, malheureusement.

Porto Rico ne sera pas épargné non plus par Irma, mais, comble du malheur, l’île se trouvera sur la route d’un autre ouragan tropical, Maria, qui s’abat sur le pays une semaine plus tard. On déplorera plus de trois mille morts et 90 % des infrastructures du pays seront détruites. Le pays est isolé du reste du monde. Trois millions de drames humains que les États-Unis, dont dépend Porto Rico, ignoreront.

Dans son essai, Naomi Klein rappelle la scène grotesque du président Trump lançant à la ronde des rouleaux de papier essuie-tout à ceux qui étaient venus l’accueillir lors de son passage éclair dans l’île, « comme on jette de la nourriture à des animaux », écrit-elle.

Au milieu de cette désolation, une lueur d’espoir. Klein découvre un centre communautaire, la Casa Pueblo, qui a survécu à la catastrophe, grâce à ses panneaux solaires installés depuis une vingtaine d’années, sur le toit du centre. « Dans l’océan de ténèbres qui a succédé à l’ouragan, la Casa Pueblo disposait de la seule source constante d’électricité à des kilomètres à la ronde. » Une véritable « oasis solaire » qui deviendra un modèle à imiter.

Paradis fiscal

Mais comme on peut l’imaginer, ce modèle de développement, qui fait la promotion de l’agriculture biologique et de l’autosuffisance, ne plaît guère aux promoteurs traditionnels et voraces, qui trouvent qu’il y a au contraire trop d’États à Porto Rico.

Ils rêvent d’un vrai marché libre où les acteurs privés prendraient la relève de l’État, une sorte de « Portopie » vouée au profit des plus riches. Le gouvernement portoricain offre même aux entreprises américaines désireuses d’investir dans l’île des taux d’imposition à 4 % et toute une panoplie d’avantages fiscaux, alors qu’en Californie, les taux sont à 55 %. Rien de moins qu’un véritable paradis légal pour l’évasion fiscale, interdit aux résidents de Porto Rico qui n’arrivent même pas à alimenter leur maison en électricité.

Les nouveaux riches qui veulent s’y installer doivent chercher sur une carte pour connaître la situation géographique de l’île, comme le conseille un de ces jeunes loups, qui suggère d’installer une application de traduction Google sur leur téléphone parce que, oh surprise ! la langue locale est l’espagnol.

Laboratoire vierge, Porto Rico l’a été à maintes reprises, même pour la thalidomide, nous apprend Klein.

La base militaire abandonnée contient encore des mines non explosées et des polluants d’origine militaire toujours toxiques. Au moins dix-huit sites contaminés sont sous haute surveillance. La domination coloniale est telle que le drapeau portoricain demeure interdit en de nombreux endroits. On n’arrive même plus à penser en grand. « Nous ne sommes même pas censés envisager de nous gouverner nous-mêmes », se plaint un dirigeant syndical.

Jacques Lanctôt, Le Journal de Montréal, 27 janvier 2019

Lisez l’original ici.

 

Inscrivez-vous à notre infolettre

infolettre

Conception du site Web par

logo Webcolours

Webcolours.ca | © 2024 Lux éditeur - Tous droits réservés.