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24 janvier 2007

Recension : Norman Bethune. Politique de la passion,

Norman Bethune est né en 1890 à Gravenhurst en Ontario. Conscrit en 1914, il interrompt des études de médecine amorcées deux ans plus tôt pour servir comme brancardier dans l’Armée canadienne en France où il est blessé l’année suivante. Diplômé en médecine de l’Université de Toronto à la fin de 1916, il est de nouveau enrôlé, cette fois dans la Marine comme lieutenant chirurgien jusqu’à la fin de la guerre. Il entreprend ensuite une carrière de chirurgien en Angleterre, aux États-Unis et au Canada. Atteint en 1926 de la maladie alors mortelle qu’est la tuberculose, il est cloué au lit pendant un an, isolé en sanatorium. Faisant preuve d’une détermination et d’une audace hors du commun, il exige, malgré les risques d’un échec et contre la ferme opposition de ses médecins, qu’on le soigne à l’aide d’un nouveau traitement encore au stade expérimental. Complètement guéri deux mois plus tard, il devient à partir de 1928 un spécialiste de premier plan en chirurgie thoracique, connu tout autant par ses conférences, son enseignement universitaire, ses articles scientifiques et les postes qu’il occupe au sein d’associations médicales internationales, que par sa pratique en milieu hospitalier, entre autres à l’hôpital Royal Victoria de Montréal et à l’hôpital du Sacré-Coeur de Cartierville où il est chef du service de chirurgie pulmonaire de 1932 à 1936.

Ce n’est véritablement qu’en 1935 que sa vie prend un nouveau cours et qu’il plonge résolument dans une action sociale et politique à laquelle il consacre dès lors toute sa compétence et toutes ses énergies, dans la plus complète abnégation, au cours des quatre dernières années de sa vie. « En quelques mois à peine, ses opinions politiques et sa carrière changèrent radicalement d’orientation » (p. 91), écrit l’auteur en soulignant qu’avant 1935 il n’était même pas un homme de gauche et qu’il ne manifestait aucun intérêt pour la chose politique. Les lamentables conditions de vie de la dépression des années 1930 l’amènent d’abord à s’investir dans la fondation du Groupe montréalais pour la protection de la santé publique et à combattre le manque criant de soins médicaux au Québec, dont il souligne qu’il frappe au premier titre la classe ouvrière et les démunis. Vient ensuite, et surtout, son engagement en Espagne de septembre 1936 à mai 1937 dans le camp anti-franquiste, où il se fait connaître mondialement par le service de transfusion sanguine au front qu’il met au point, puis en Chine en 1938 et 1939 où il agit comme conseiller médical de l’Armée dirigée par Mao Zedong contre l’invasion japonaise, met sur pied un réseau d’hôpitaux militaires à proximité du front, forme le personnel médical, rédige à cet effet des manuels de médecine, organise un service de santé publique et pratique une multitude d’interventions chirurgicales en première ligne, dans des conditions d’extrême dénuement et au risque permanent de sa vie. L’une de ces interventions aura finalement raison de lui en octobre 1939 à l’âge de 49 ans, à la suite d’une infection mortelle provoquée par une coupure accidentelle au doigt.

Ce sont donc les quatre dernières années de cette vie exceptionnelle qui ont fait de Bethune un personnage célèbre désormais connu à travers le monde. Rappelons en particulier que l’hommage que lui a rendu Mao Zedong au lendemain de sa mort, intitulé À la mémoire de Norman Bethune, a au cours des années 1960 et 1970 été l’un des trois articles les plus lus, en Chine et à l’étranger, de la littérature maoïste.

Cette publication, écrit son directeur, Larry Hannant, n’est pas une biographie au sens strict du terme. Son intention est plutôt de faire revivre Bethune en réunissant dans un ouvrage qu’il caractérise comme une « somme » l’ensemble de ses écrits et de sa production artistique. Car le médecin devenu révolutionnaire était aussi poète, peintre, inventeur et auteur de nouvelles et de pièces de théâtre. Dans tous ces domaines, il a fait preuve d’une créativité exceptionnelle, écrit Hannant qui souhaite mettre en lumière les talents multiples de cet homme passionné, exalté, qui adorait la vie et l’humanité et haïssait l’injustice et la disparité des richesses qu’il voyait comme la source de la maladie (p. 13). Cet amour de l’humanité, souligne-t-il, amenait notamment Bethune à soigner sur le même pied les Chinois et les Japonais blessés au combat, les véritables ennemis de ces « frères en souffrance » se trouvant, selon son expression, « de l’autre côté du spectre politique et social » (p. 17).

Dans cet effort pour jeter un regard neuf sur le personnage de Bethune, Hannant a eu recours à des documents historiques jusqu’alors inconnus qui, dit-il, dissipent plusieurs énigmes tenaces, comme celle entourant le départ précipité de Bethune d’Espagne en mai 1937. Parmi ces documents, un rapport de mai 1937 dévoilé après la chute de l’Union soviétique en 1991 par le département des archives du Komintern à Moscou sur les activités de la délégation canadienne en Espagne, visant Bethune en particulier. Bethune, qui avait adhéré au Parti communiste canadien en novembre 1935, s’était rendu en Espagne en octobre 1936, un mois avant l’arrivée des brigades internationales organisées par le Komintern et les partis communistes membres, non pas sous les directives du Parti communiste canadien, précise Hannant, mais « en suivant l’impulsion que lui dictait sa seule volonté » (p. 153). En allant en Espagne, poursuit Hannant, Bethune s’inscrivait provisoirement dans l’optique de la ligne défendue par Moscou, celle de la lutte des « démocraties » contre le fascisme. « Mais il espérait aussi contribuer à déclencher un soulèvement révolutionnaire à plus vaste échelle. Dans les émissions radiophoniques auxquelles il participa depuis l’Espagne, il comparait souvent la guerre civile en cours au premier engagement de la “révolution mondiale’’. » (p. 154) Voilà bien l’hérésie par excellence qu’il fallait s’abstenir de soutenir et qui a coûté la vie à tant de militants victimes de la terreur stalinienne qui déferlait alors impitoyablement en Espagne contre la révolution sociale en marche, et qui a pris une ampleur particulière après les soulèvements de mai 1937 à Barcelone. Parmi les dissidents victimes de cette terreur, des centaines de volontaires des brigades internationales ont été exécutés sommairement sous les ordres du conseiller politique, membre du Parti communiste français, André Marty, surnommé « le boucher d’Albacete ». Il faut seulement se réjouir de ce que Bethune ait quitté l’Espagne au bon moment, à la date même au-delà de laquelle il aurait sans doute été trop tard.

Bethune, qui est décrit par Hannant comme étant « bien davantage un militant, un homme de terrain, qu’un théoricien du communisme » (p. 15), semble pourtant avoir bien appris la leçon par la suite. On le constate dans ses nombreux écrits de la période chinoise de 1938 et 1939 où il fait à satiété l’apologie de la politique stalinienne du « front uni » du Parti communiste et du parti nationaliste bourgeois qu’est le Guomindang, politique qui avait mené en 1927 à l’écrasement du Parti communiste, dès lors expulsé des grandes villes et contraint à se reconstruire dans les campagnes comme un appareil militaire, administratif et politique. Défendant cette politique, Bethune écrit en particulier :

Aucune propagande communiste ou prétendument telle n’est faite, sauf par les réactionnaires. Le programme conjoint Parti communiste-Guomindang est fondé sur les trois principes [démocratie, nationalisme, amélioration du niveau de vie…] auxquels le Guomindang, parti qui tente par tous les moyens d’éliminer le Parti communiste depuis onze ans […] avait renoncé en 1927 […].Absolument rien n’est envisagé pour confisquer la propriété, collectiviser la terre ou abolir le système capitaliste. La révolution prolétarienne est volontairement suspendue—la révolution bourgeoise prime […]. Il n’y a rien de communiste ici. La région n’est pas gouvernée par un soviet, mais par un front uni […]. Le seul qui ose encore prêcher le communisme « pur » et la révolution prolétarienne en Chine, c’est le trotskiste […]. Tout le monde admet que la VIIIe armée de route et le Parti communiste avaient assez d’influence dans la région pour y fonder un soviet; si les communistes l’avaient voulu, ils auraient eu la partie relativement facile. Ils ne l’ont pas voulu. Ils ont plutôt insisté pour un gouvernement de front uni. (p. 321–322)

Une vision qui tranche, c’est le moins qu’on puisse dire, avec celle qu’il défendait en Espagne en 1936–1937, et qui ne pouvait que rassurer tant le Parti communiste canadien que le Parti communiste chinois, l’un comme l’autre sous la botte de Staline.

En guise de conclusion, Politique de la passion est un livre passionnant, très bien traduit, de grande qualité !

Louis Gill, Bulletin d’histoire politique 15.3, printemps 2007

Voir l’original ici.

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