ACTUALITÉS

31 août 2019

Essais québécois: un automne riche en débats

L’expression « classiques québécois » peut faire sourire quiconque se méfie de l’admiration béate des gloires convenues. N’empêche que deux monographies colossales retiennent l’attention, ne serait-ce qu’à cause de l’influence indiscutable des auteurs traités et du talent des exégètes : Anne Hébert, vivre pour écrire, de Marie-Andrée Lamontagne (Boréal, 29 octobre) et La distance et la mémoire, essai d’interprétation de l’oeuvre de Fernand Dumont, de Serge Cantin (PUL, septembre).

Anne Hébert. Photo: Jacques Grenier / Le Devoir

Un malicieux pourrait insinuer que la biographie de la poète et romancière ainsi que l’essai sur le penseur rompu au style honorent la région de Québec où ils sont nés et qu’ils négligent Montréal, réputé plus novateur. Reste que, grâce au chercheur Georges Aubin, un petit ouvrage, qui tient davantage de l’érudition que de l’interprétation, rend justice à un Montréalais de naissance aux idées audacieuses pour son époque : Lettres inédites, de Louis-Joseph Papineau (Point du jour, septembre).

Une étude globale de l’oeuvre de l’artiste qui, par la poésie, la musique, le récit et le théâtre, se range, lui aussi, parmi les classiques québécois, ne laissera sûrement pas indifférent. Il s’agit du livre le plus complet qui lui soit consacré à ce jour : Félix Leclerc – le Roi centenaire, dirigé par Luc Bellemare, Jean-Pierre Sévigny et Danick Trottier (Septentrion, 24 septembre).

Politique et société

Il n’y a pas que les artistes et les penseurs d’exception, il y a également le pluralisme de l’ensemble de la population. Pour mieux le respecter, le gouvernement caquiste s’apprête à présenter un projet de réforme du scrutin. Des essais traitent du sujet : Des élections à réinventer, de Mercédez Roberge (Somme toute, 27 août), et La réforme du mode de scrutin au Québec, de Julien Verville (Fides, novembre).

L’anarchiste Francis Dupuis-Déri, dans Nous n’irons plus aux urnes, essai sur l’abstention (Lux, 3 octobre), ne s’embarrasse pas des projets de réforme, mais dévoile les racines oligarchiques de l’histoire du scrutin. Pour donner de la couleur à la satire des élections, il fait même appel à la participation des drag queens !

D’autres essais québécois regorgent d’originalité. Le philosophe Alain Deneault, dans L’économie de la nature et dans L’économie de la foi, deux volumes de son « Feuilleton théorique » (Lux, 24 octobre), retrace l’histoire du mot « économie ». Il estime que l’on a détourné le sens du terme qui désignait, au XVIIIe siècle, l’équilibre de la nature, et, dès le début du christianisme, l’interaction des rapports humains avec l’au-delà, pour créer plutôt une prétendue science de l’argent et du profit.

Chez le même éditeur, le sociologue Mark Fortier fait la satire d’un autre sociologue, chroniqueur et essayiste très controversé. Son essai Mélancolies identitaires, une année à lire Mathieu Bock-Côté (Lux, 7 novembre) pourfend comme un « phénomène extraterrestre » le « verbiage » de cet ultraconservateur égaré, à ses yeux, sur notre planète et dans notre siècle.

Petite et grande histoires

Quant à L’allume-cigarette de la Chrysler noire, de l’anthropologue Serge Bouchard (Boréal, 22 octobre), il s’agit d’une autobiographie pleine de verve. Elle célèbre la vie quotidienne des Québécois, leur histoire souvent oubliée ainsi que la dimension amérindienne de leur aventure socioculturelle. Elle se rapproche de l’ouvrage illustré L’Amérique fantôme, de l’historien français Gilles Havard (Flammarion Québec, 29 août) qui suit la trace de coureurs des bois, nés en France et au Canada.

De son côté, un autre historien de l’Hexagone, Éric Thierry, établit la première édition vraiment intégrale et en français moderne, pour en rendre la lecture plus aisée, des Oeuvres complètes de Samuel de Champlain, t. 1, 1598-1619, et t. 2,1620-1635. Cette édition des écrits du père de la Nouvelle-France inclut trois mémoires inédits découverts par le chercheur (Septentrion, 13 août).

Chez nous, l’historien Gérard Bouchard consacre aux « mythes nationaux à l’ère de la mondialisation » l’essai ambitieux Les nations savent-elles encore rêver ? (Boréal, 8 octobre). Il propose des « aperçus empiriques » centrés sur les États-Unis, l’Acadie, le Canada anglais et le Québec. Dans sa synthèse Brève histoire des idées au Québec, Yvan Lamonde enrichit et met à jour ses travaux antérieurs (Boréal, 22 octobre).

Plus près de la vie politique quotidienne, Marco Bélair-Cirino et Dave Noël, journalistes au Devoir, racontent dans Les lieux de pouvoir au Québec (Boréal, 16 octobre) leur évolution clairsemée d’anecdotes. Ils passent en revue le défunt Conseil législatif, la résidence du lieutenant-gouverneur, l’édifice Price, le « bunker » et même l’éphémère « Élysette »…

Chez le même éditeur, les historiens Paul Larocque et Richard Saindon font redécouvrir un précurseur de Paul Desmarais, de Jean-Louis Lévesque ou de Pierre Péladeau. Leur biographie Jules-A. Brillant, un homme, un empire (Septentrion, 29 octobre) décrit la carrière fulgurante d’un entrepreneur du Bas-Saint-Laurent qui, né en 1888 dans un milieu modeste et mort en 1973, a, en créant des entreprises dans le domaine de l’électricité et de la téléphonie, édifié un empire industriel et financier.

Femmes engagées

Les puissants appartiennent en grande majorité au sexe masculin. La féministe Martine Delvaux discerne dans le phénomène une domination. Son essai Le boys’ club analyse les clubs privés masculins plus ou moins formels où les membres se relaient le pouvoir et l’accaparent (Remue-Ménage, 15 octobre). Contre des climatosceptiques souvent machos, l’opiniâtre Martine Ouellet, ex-femme politique, publiera Climat Québec 2030 (Québec Amérique, 5 novembre).

Autre femme engagée, Laure Waridel, cofondatrice d’Équiterre, entend préciser la « grande transition » écologique pour sauver « notre planète malade » dans Aux origines de demain (Écosociété, 5 novembre). Cet intérêt pour la question de l’heure n’est pas étranger aux préoccupations du politologue Michel Fortmann qui, dans Le retour du risque nucléaire (PUM, 17 septembre), examine la situation des États-Unis, de la Russie, de la Corée du Nord, de l’Inde et du Pakistan.

D’hier à aujourd’hui

Si Pierre Anctil et Ira Robinson dirigent l’ouvrage Les juifs hassidiques de Montréal, portrait de communautés à la fois religieuses et culturelles de la métropole qui font de leur attachement ritualiste à un passé de plusieurs siècles un messianisme encore éloquent (PUM, 17 septembre), Yves-Marie Abraham, sociologue de HEC Montréal, est partisan de l’équilibre et non de la recherche d’un absolu contraire à l’évolution de notre planète.

Dans Guérir du mal de l’infini (Écosociété, 5 novembre), il défend l’idée selon laquelle la croissance illimitée dans un monde limité est matériellement impossible. Il lance le mot d’ordre : « Produire moins, partager plus, décider ensemble. » Ce programme apparaît prometteur pour un avenir où l’équilibre s’allie à l’égalité.

Michel Lapierre, Le Devoir, 31 août 2019

Photo: Photo: Valérian Mazataud / Le Devoir

Lisez l’original ici.

Inscrivez-vous à notre infolettre

infolettre

Conception du site Web par

logo Webcolours

Webcolours.ca | © 2024 Lux éditeur - Tous droits réservés.