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8 janvier 2017

Gratitude et engagement

Avec son nouveau recueil de chroniques et de conférences, le cinéaste humaniste Bernard Émond lance un appel à l’engagement. L’époque est sombre, mais la beauté demeure. Il nous reste à fermer nos appareils électroniques, ouvrir les yeux et rendre ce qui nous est donné.

Entre deux tournages, Bernard Émond lit beaucoup et écrit presque autant. Il lancera le 12 janvier un deuxième recueil, Camarade, ferme ton poste, après Il y a trop d’images, paru aussi chez Lux en 2011. Des textes dits épars, mais le cinéaste est tout à fait « raccord », en continuité dans sa réflexion.

Même s’il est moins question de cinéma dans Camarade, ferme ton poste, il y a encore plus d’images qu’il y a cinq ans dans le monde. Bernard Émond adopte donc l’impératif. Il est temps de fermer cellulaires, tablettes et ordis pour s’engager dans la beauté du monde.

« Je ne suis vraiment pas optimiste, mais je n’ai pas perdu l’espérance, dit-il d’entrée de jeu. On vit une époque noire. Culturellement c’est noir, politiquement c’est noir. On a très peur de ce qui s’en vient chez nos voisins américains. Le rapport à la culture est en train de changer, mais en même temps, il y a l’espérance, il y aura un renouveau. Le pari que je fais en continuant de faire des films et d’écrire c’est que, par l’attention au monde, on peut trouver la beauté. Parler à notre chéri(e) dans les yeux, regarder dehors, lire vraiment. C’est ce qui m’empêche de désespérer. »

Bernard Émond se dit socialiste conservateur. Dans son recueil, il est cet homme qui défend le collectif, le progrès social et certaines valeurs qui peuvent paraître passéistes à l’époque de la post-vérité : la bonté, le respect, la gratitude.

« Ce sont des valeurs humanistes même si on vit une époque post-humaniste. Le sens du devoir, par exemple, il faut en parler. On est obnubilés par la logique des droits. Il y a des devoirs qui viennent avec ça. »

« C’est paradoxal, de mon point de vue, il y a une extension presque illimitée des libertés individuelles, mais en même temps, on n’a jamais vécu dans une époque aussi conformiste. »

— Bernard Émond, auteur et cinéaste

Un conformisme de centre commercial, de discours économique, de ce qui rapporte par rapport à ce qui ne sert à rien. Un matérialisme de tous les instants qu’il dénonce dans le livre. « Pour le moment, croit-il, le néolibéralisme a gagné grâce à 25 ans de propagande, dans les médias notamment. Il a pénétré tous les esprits ou presque, même ceux de la gauche. »

Camarade Émond

Le camarade Émond n’échappe pas à son autocritique dans le livre, face à l’égoïsme qu’il a affiché un jour face à un squeegee. Il ne croit surtout pas que les intellectuels et une certaine élite peuvent jouer aux Ponce Pilate en ce moment de notre histoire, une époque qui a permis l’élection de Donald Trump aux États-Unis.

« Essayons d’être plus fins dans l’analyse en évitant de mettre les intellectuels d’un bord et le peuple de l’autre. C’est plus compliqué que ça. Il y a une coupure dont les intellectuels sont responsables eux-mêmes. Je reviens souvent à Orwell et à son amour du peuple. Pour les intellectuels aujourd’hui, les luttes sont liées à l’extension des libertés individuelles, les droits des minorités ethniques ou sexuelles. Ces batailles doivent être menées, mais le peuple est en train de s’appauvrir et les intellectuels s’occupent d’accès aux toilettes publiques ! »

Les luttes primordiales, à ses yeux, restent donc celles qui touchent aux inégalités sociales, au droit au logement et à l’éducation. Et pour l’ensemble des Québécois, il reste le débat inachevé de la nation, incontournable quoique rendu presque toxique, selon lui.

« A-t-on le droit d’être chez nous, de parler notre langue et d’être une majorité ? Il y a un réel problème à gérer les flux de population qui s’en viennent avec l’idée qu’on est chez nous. On ne fait que parler de ça et on est crucifié. La question de la nation est importante. »

Droits et devoirs

Tous peuvent relever leurs manches en se concentrant sur l’idée de communauté humaine. La vie nous a été donnée, on se doit de la rendre meilleure. Rechercher, à tout le moins, un milieu, juste et équitable pour tous.

« Certains de mes amis de gauche ont intégré la logique néolibérale complètement. Pour eux, le combat, c’est l’extension de la liberté individuelle. Moi, je crois le contraire. Mais peut-on le dire sans passer pour un fasciste ? C’est une question d’équilibre. Je ne suis pas pour le retour de l’autorité. Il faut retrouver l’équilibre entre la contrainte et la liberté, l’individuel et le collectif. »

Complexe, voire impossible ? Suffit de regarder autour de soi, parfois. « Il y a tant de misère. Dans une société riche comme la nôtre, ça ne devrait même pas exister. Augmentez les taxes et sortez les gens de la rue. L’évasion fiscale, les riches qui ne paient pas… Faisons-nous cracher pour que les vieux et les indigents soient bien logés. »

« On n’arrivera jamais à sauver tout le monde, mais on pourrait en sauver plus qu’on en sauve en ce moment. »

— Bernard Émond, auteur et cinéaste

Et le cinéaste de retourner à la production de son prochain film, faisant sienne la fine prose de Réjean Ducharme : « On est désespéré, mais on ne se découragera pas. »

EXTRAIT

« Donner, recevoir, rendre : cette triple obligation est au cœur de toutes les cultures et de toutes les sociétés : nous recevons le monde, nous recevons la vie, nous recevons la culture ; ainsi sommes-nous toujours en dette de quelque chose que nous devons rendre. Nous sommes en dette, parce que le monde nous est donné : peut-être est-ce cette dette, cette obligation enfouie au plus profond de nos âmes et de nos sociétés, qui est la source de la petite bonté. La gratitude que nous éprouvons parfois devant la beauté du monde, la richesse de notre héritage, ou la simple bonté d’un inconnu, cette gratitude nous engage à rendre. Peut-être est-ce une raison suffisante pour croire que tout n’est pas perdu. »

Mario Cloutier, La Presse+, 8 janvier 2017

Lisez l’original ici.

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