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14 janvier 2020

Il m’arrive de nous trouver idiots

Ainsi, le ministre Jean-François Roberge a décidé d’en finir avec le cours d’Éthique et culture religieuse (ECR). Ayant passé une année à lire Mathieu Bock-Côté, pour qui ce cours figure aux nombres des scandales qui menacent l’âme du Québec, et qui l’attaque avec véhémence depuis des années, je ne peux m’empêcher d’inscrire cette décision au nombre des victoires du nationalisme conservateur.

Elles s’accumulent, ces victoires, ce qui devrait nous permettre de voir sous peu s’il est vrai que cette vision du monde est une voie rapide qui mène de l’affirmation nationale à l’indépendance du pays. En tout cas, ces jours-ci, on sable le champagne parmi cette droite nationaliste, et on entend monter les plaintes des défenseurs d’un Québec inclusif et ouvert à l’infinie richesse des cultures. Un grand débat public s’amorce, il faut croire.

Il ne faut pas avoir d’enfants ni avoir enseigné pour s’émouvoir positivement ou négativement de ce cours. Enseigner les religions à des musulmans, des bouddhistes, des pentecôtistes et des hindouistes, pour des professeurs d’ordinaire athées et qui ont tout juste le temps pour préparer leurs cours de français, de mathématiques et de sciences à leurs élèves du primaire a quelque chose d’assez désespérant. Mes enfants, qui sont au secondaire, regardent des films en ECR. La vie de Jésus, celle de Mahomet, un film sur Gandhi, ce qui n’est pas pour leur déplaire, mais est-ce vraiment là un cours d’histoire de l’éthique et des religions ?

En outre, quand je lis un peu partout qu’avec ce cours, il faudrait croire que nous formions des petits Hérodotes épris du besoin de se connaître en embrassant du regard l’ensemble des grandes cultures humaines, je souris.

La politique ayant horreur du vide, le ministre a déjà émis le souhait de remplacer le cours d’ECR, mais en l’abolissant avant de savoir ce qui le remplacera. Mais pourquoi diable doit-on toujours mettre au programme de ces minuscules cours que très peu de profs aiment ou savent enseigner ? ECR ou quoi que ce soit d’autre.

Y a-t-il une personne de ma génération qui conserve un souvenir impérissable des cours de Formation personnelle et sociale ou d’Éducation aux choix de carrière ? Faudrait-il désormais, selon les voeux de M. Roberge, que les profs enseignent soudain le droit, la sexualité à l’ère des identités multiples ou la citoyenneté numérique ? Aussi bien demander au concierge de l’école de venir les aider : il saurait tout aussi bien faire. Mais le concierge ne peut sans doute pas aider puisqu’il est déjà occupé à enseigner le français ou la musique, vu la pénurie d’enseignants.

Sur sa page Facebook, Mathieu Bock-Côté a fait une proposition qui, ma foi, me paraît sensée : « Par quoi remplacera-t-on ECR ? La réponse devrait être simple : on devrait accorder le temps libéré au français et à l’histoire. » Que voilà une excellente proposition. Mais devait-on, pour y arriver, dénoncer dans le cours de ECR rien de moins qu’« un programme antidémocratique », qui « instrumentalise la culture religieuse pour faire la promotion active du multiculturalisme », qui entend « pousser les jeunes Québécois vers une forme de relativisme extrême, où ils devront accepter tous les symboles religieux et identitaires, et au premier rang, le voile islamique, du simple hidjab jusqu’au niqab ».

Le philosophe Georges Leroux, artisan et défenseur de ce projet et, à ma connaissance, souverainiste convaincu, serait-il à considérer comme un vil propagandiste, corrupteur de la démocratie et de la jeunesse, en cela inspiré de Socrate, qui aurait ainsi bien mérité le sort que l’histoire lui a réservé ?

Les conservateurs se lamentent partout et toujours de l’impossibilité de débattre de nos jours si nos échanges ne retrouvent pas un minimum de décence. On aimerait bien qu’ils accordent leur dire et leur faire. Le surgissement de ce débat sur ce cours microscopique, alors que l’école est devant d’immenses défis, et son enflure au statut de question existentielle, a de quoi surprendre. Quelle est cette société qui voit dans de telles vétilles un enjeu civilisationnel alors que, par ailleurs, le monde brûle ? Il m’arrive de nous trouver idiots.

Mark Fortier, Sociologue et éditeur, auteur de Mélancolies identitaires. Une année à lire Mathieu Bock-Côté, Le Devoir, 14 janvier 2020.

Image: Vector Mine

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