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19 octobre 2019

Ils refusent de voter, et voici pourquoi

Le sujet est tabou. Pas facile de trouver des citoyens prêts à assumer publiquement leur rejet du système électoral. Ils sont pourtant des millions, puisque, depuis 30 ans en moyenne, le tiers des électeurs ne votent pas aux scrutins fédéraux.

Benoit est encore jeune, mais déjà désabusé par les élections auxquelles il a participé : C’est tout le temps la même affaire, on se fait promettre des choses qui n’arrivent pas.

Je trouve que ça ne sert à rien. Les gens chialent, mais continuent d’élire les mauvaises personnes.

Benoit, abstentionniste

Le portrait de l’abstentionniste
Selon Élections Canada, c’est davantage un jeune qu’un vieux. C’est plutôt un homme qu’une femme, sauf après 65 ans, où ça s’inverse. Et il n’y a pas de grande différence que l’on soit né au Canada ou à l’étranger. Par ailleurs, les membres des Premières Nations sont parmi ceux qui votent le moins.

À 75 ans, Dewalter a le sentiment que le temps a eu raison de sa foi dans la politique. Il dénonce « les promesses non tenues et le cynisme des politiciens ».

Les élections, c’est comme un jeu où on ne gagne jamais. Ce sont toujours les politiciens qui gagnent. Alors, c’est un peu décourageant.

Dewalter, abstentionniste

Je trouve que tout le monde est de mauvaise foi, explique le travailleur autonome montréalais Jean-François Ménard. Pour la première fois de ma vie, j’ai envie de dire : « Démerdez-vous. »

C’est le niveau du débat actuel qui me dégoûte, surtout entre les citoyens.

Jean-François Ménard, abstentionniste

Alex vient de déménager du Saguenay–Lac-Saint-Jean à Montréal, mais il n’a pas changé son adresse « par paresse ». Il ne votera donc pas, mais ça ne lui tentait pas vraiment.

« Je pense qu’il manque de diversité dans les opinions des politiciens », dit-il. Le jeune homme croit qu’aucun candidat ne peut changer le quotidien des citoyens.

Principales raisons invoquées : %
Manque d’intérêt32
Manque de temps23
À l’extérieur de la ville12
Incapacité de santé12
Contre le processus électoral8

Source: Stastique Canada

Claudia, une entrepreneure de Montréal, a aussi perdu l’envie de voter. « Quand j’étais étudiante, que j’ai eu mon premier enfant, je votais. J’avais une foi que je pouvais apporter un changement. Mais je pense que le système est devenu tellement lourd que ça prend quelque chose de plus gros pour le faire changer. C’est le peuple qui doit engendrer ce mouvement, non pas par un vote, mais par une solidarité. »

Le candidat devenu abstentionniste

Tous les abstentionnistes ne sont pas désintéressés de la politique. L’astrophysicien Yvan Dutil a été candidat du Parti vert du Canada en 2008 et en 2011. Mais aujourd’hui, il se prépare à tourner le dos aux urnes.

Les partis politiques sont de plus en plus contrôlés par des idéologues et des spécialistes en communication, explique-t-il. La réalité a moins d’importance que le paraître. Or, c’est exactement le genre d’attitude qui nous mène à notre perte.

Ce n’est pas une critique d’un gouvernement ou d’un parti. C’est structurel.

Yvan Dutil, abstentionniste

Selon lui, « le gros problème est que les problèmes auxquels on fait face demandent des solutions complexes, ce qui a un faible potentiel commercial. On préfère donc ne rien faire tant que l’on n’atteint pas le stade de la catastrophe. »

Deux questions à Francis Dupuis-Déri, abstentionniste et auteur du livre Nous n’irons plus aux urnes

Francis Dupuis-Déri, professeur de science politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM)
Photo : Radio-Canada / Cathy Senay

Les abstentionnistes se font souvent dire que, s’ils ne votent pas, ils n’ont pas le droit de se plaindre. Que répondez-vous à ça?

Cet argument est fallacieux, car il n’y a aucun lien entre le vote et la liberté d’expression, y compris la liberté de critiquer le gouvernement. Cela dit, je suis d’accord avec l’humoriste irrévérencieux George Carlin : les abstentionnistes n’ont pas participé à l’élection du gouvernement et nous avons donc le droit de le critiquer, ainsi que l’électorat qui l’a élu. Les électeurs devraient pour leur part s’excuser de l’avoir élu ou d’avoir participé au cirque électoral.

Un argument qui revient souvent, c’est aussi le rappel que des gens sont morts pour le droit de vote…

Oui, dans certains pays. Mais les parlementaires ont aussi fait massacrer bien des gens qui voulaient s’organiser politiquement sans chef et sans Parlement, de manière autonome et égalitaire. Les parlementaires ont aussi ordonné le massacre de milliers de civils, y compris des enfants, lors de guerres menées au nom de la démocratie.

Le tour de passe-passe du père de famille abstentionniste

Francis Boucher, qui s’est déjà engagé en politique avec Québec solidaire, envisageait de s’abstenir de voter pour la première fois.

J’avais l’impression qu’avec le système actuel, qui n’est pas encore proportionnel, mon vote allait être jeté aux poubelles.

Francis Boucher

Mais le père de famille a plutôt décidé de « donner » son vote à sa fille de 14 ans. C’est elle qui décidera pour qui voter.

« Ça m’est venu comme un flash. J’ai réalisé que ma fille a manifesté pour le climat, elle participe aux discussions politiques avec ses parents de façon très éloquente, elle a suivi deux débats… Ça m’est apparu comme un choix naturel. »

C’est un geste pédagogique. Je ne lui enseigne pas l’abstention, au contraire. Je veux qu’elle prenne possession de ce geste citoyen à ma place.Francis Boucher

Encourager les plus pauvres à voter

Un itinérant dormant sur un banc dans le métro Place-des-Arts à Montréal.
Photo : Radio-Canada / Anne-Marie Yvon

À Montréal, l’Association pour la défense des droits sociaux s’est donné pour mandat d’encourager les bénéficiaires d’aide sociale et les itinérants à se rendre dans les bureaux de scrutin. Ces populations votent rarement.

Si les politiciens s’aperçoivent que ces gens-là vont voter, ils vont s’occuper d’eux.

Solange Laliberté, présidente de l’Association pour la défense des droits sociaux du Montréal métropolitain

Thomas Gerbet, Radio-Canada, 19 octobre 2019

Lisez l’original ici.

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