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1 avril 2010

John Holloway et l’anti-pouvoir

Le point de départ de Holloway, c’est la négation, un cri de détresse et de rage. Le monde dans lequel nous vivons inspire l’horreur et l’indignation. Impossible de rester sourd à l’exploitation systématique et à la domination presque intégrale du capital sur nos vies. Alors que des millions d’enfants vivent dans la rue et que cette pauvreté qui s’accroit sans cesse se double d’une grave crise écologique, la nécessité de la révolution se fait aujourd’hui plus que jamais sentir.

Cette révolution se devrait de dissoudre le pouvoir et non de le prendre. La stratégie marxiste orthodoxe, qu’elle considère l’État comme un mal nécessaire à son dépassement ou comme une fin en soi, ne sort pas du paradigme étatique. Pour cette tendance, il s’agirait de déterminer comment prendre le pouvoir – de façon intra ou extra parlementaire – et non de l’abattre. L’échec éloquent de cette stratégie était prévisible, car l’État n’est pas une institution neutre dont il s’agirait de changer la direction afin qu’elle serve mieux nos intérêts, il est plutôt un rapport social intrinsèquement lié au capitalisme, un processus sans cesse renouvelé qui participe à la séparation des acteurs du produit de leur action et des acteurs entre eux.

Pour celui qui veut prendre le pouvoir – ajoute Holloway –, il faut discipliner la lutte afin qu’elle devienne utile au parti ou à l’organisation. Cette lutte inciterait ceux qui la mènent à introduire dans leur propre rang des rapports de pouvoir opposés à l’émancipation humaine. À la critique de l’État s’ajoute ainsi la critique de l’élite éclairée, léniniste ou autre, qui se croit en devoir de soumettre la subjectivité des acteurs à l’objectivité scientifique… alors que nous sommes les producteurs de notre propre subordination et les seuls à pouvoir l’abolir.

Dans une société caractérisée par des rapports de domination, la seule forme que peut prendre la liberté est celle de la lutte contre cette domination. Si la créativité, la liberté et la dignité sont niées dans l’état actuel du monde, cela ne signifie aucunement que leur existence soit réduite à néant : la créativité, la liberté et la dignité ont une existence réelle et matérielle, elles existent en tant que mouvement contre leur négation. C’est dans les luttes qui s’attaquent au pouvoir que se trouve l’espérance de l’humanité, ces luttes pour le contrôle du travail (ou sa réduction), pour l’accès à l’éducation, pour l’accès aux services de santé, pour le droit à l’avortement, etc. La lutte des zapatistes et du mouvement altermondialiste, de même que les nombreuses manifestations aux déclinaisons artistiques et littéraires, comptent parmi les nombreuses formes inspirantes que prennent les luttes révolutionnaires contemporaines.

Pour Holloway, il est trop tôt pour déterminer les contours positifs d’une société à construire. L’objectif de son livre est de rendre le cri plus strident, de nous aider à saisir la profondeur et « l’infinie richesse de la négativité ». Sa théorie, loin de l’académisme, se conçoit comme un moment de la pratique pour transformer la société.

Nombreuses furent les critiques adressées à ce livre au moment de sa parution. À ce sujet, l’article de Daniel Bensaid* dans la revue Contretemps, où il réplique à Holloway qui résume ses thèses dans un article du même numéro, alimente grandement le débat. Il nous permet, entre autres, de relativiser un tantinet l’apologie que fait Holloway du mouvement zapatiste, mouvement qui constitue à peu près le seul ancrage pratique de l’auteur afin d’appuyer sa théorie, et de soulever quelques questions qui nous semblent irrésolues suite à la lecture de livre.

Si ce livre demande un certain bagage (ou un peu de détermination), il est quand même incontournable pour ceux et celles qui s’intéressent à la théorie révolutionnaire.

* Profitons de l’occasion pour souligner le départ prématuré de ce marxiste révolutionnaire.

Marc-André Cyr, Le Couac, avril 2010

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