ACTUALITÉS

24 janvier 2016

Le Devoir, 12 et 13 décembre 2007

Livre référence:
L’éthique du vampire

FDD en guerre contre la guerre

Si vous êtes favorable à l’intervention armée du Canada en Afghanistan, lire L’Éthique du vampire ébranlera vos convictions. Rédigé avec clarté, intelligence et ferveur, cet essai du politologue Francis Dupuis-Déri (FDD) met à mal l’argumentation visant à justifier la présence militaire occidentale en Afghanistan et dénonce avec force l’hypocrisie des élites américaines et canadiennes dans ce dossier. À la fois informée et polémique, la charge porte.

Depuis le début de ce conflit, j’ai entretenu des sentiments ambivalents quant à la pertinence de cette intervention militaire. Renverser les talibans, me disais-je, ne pouvait être mauvais, mais était-ce à nous de le faire et fallait-il procéder en mode guerrier, avec toutes les conséquences tragiques que cela entraîne inévitablement ? À la lumière de l’histoire afghane s’ajoutait une autre interrogation qui contribuait à mon ambivalence : cette entreprise avait-elle une chance de réussir ?

Les cent premières pages du livre de FDD, je dois l’avouer, m’ont presque convaincu de l’injustice et de la folie d’une telle intervention. Elles montrent à quel point les justifications avancées par les États-Unis, et reprises par le Canada, en faveur de cette guerre relèvent d’une propagande mensongère.

De 1978 à 1992, les Soviétiques ont occupé l’Afghanistan. Ils prétendaient y être, à l’invitation d’un gouvernement légitime, pour « stabiliser » et « reconstruire » le pays et pour défendre les femmes menacées par les intégristes islamistes. FDD précise que, selon lui, un des objectifs de cette intervention, qu’il qualifie d’impérialiste, « consistait à endiguer l’influence de l’islamisme à la suite de la révolution islamiste d’Iran de 1979 ». Il n’empêche que les droits des femmes, durant cette période, ont été réellement promus.

Que faisaient, pendant ce temps, les États-Unis ? Ils qualifiaient cette invasion de « plus grande menace pour la paix dans le monde depuis la Deuxième Guerre mondiale » et finançaient les rebelles opposés aux marxistes à coup de milliards. « La CIA, affirme FDD, dirigea délibérément son aide financière et militaire vers les groupes les plus religieux, orthodoxes et dogmatiques. » Les médias occidentaux, ajoute-t-il, vantaient alors les vertus du commandant Massoud, un chef de guerre « qui se battait contre la laïcité et le progressisme depuis 1973 » (une affirmation que conteste Bernard-Henri Lévy depuis des années). En 1992, devant ces forces insurrectionnelles appuyées par l’Occident, les Soviétiques abdiquaient.

En rappelant cette histoire, FDD ne veut surtout pas prendre parti pour l’occupation soviétique. Il veut simplement montrer que l’actuelle propagande américaine, reprise de la propagande soviétique de l’époque, est en contradiction totale avec les agissements du gouvernement américain, qui se soucie comme d’une guigne de la démocratie et des droits de la femme. Non seulement a-t-il alors appuyé les forces les plus réactionnaires du pays, mais il s’est aussi réjoui, en 1995, de la victoire des talibans à la suite d’une guerre civile. Une seule boussole, donc, le guide : son intérêt.

On pourrait, bien sûr, moyennant un certain cynisme, s’accommoder stratégiquement de la poursuite de cet intérêt s’il en résultait des bénéfices pour les populations concernées. Or, selon FDD, ce n’est pas le cas du tout dans cette guerre qui punit « par le feu et l’acier » l’ensemble de la population afghane « pour les attentats du 11 septembre 2001, planifiés hors de l’Afghanistan et perpétrés par une vingtaine d’individus originaires en majorité d’Arabie saoudite et d’Égypte, deux pays dirigés par des alliés des États-Unis ». De plus, « composé de tortionnaires et d’assassins corrompus », l’État dirigé par Hamid Karzaï ne brille ni par sa légitimité démocratique ni par son appui réel aux droits des femmes.

Le Warfare State

Dans une moindre mesure, les États occidentaux sont aussi affectés par cette guerre. Celle-ci, en effet, permet de justifier le passage du « Welfare State » au « Warfare State ». Ces États, qui prônent la réduction des dépenses gouvernementales, disposent soudainement de sommes astronomiques à investir dans la guerre. Les États-Unis, par exemple, ont englouti plus de 700 milliards de dollars en Irak et en Afghanistan depuis 2001 ! La contribution canadienne atteint au moins 10 milliards. « Quel investissement excessif de fonds publics, s’exclame avec raison FDD, pour un État dont le discours économique reprend généralement les poncifs néolibéraux les plus classiques pour justifier des coupes dans les dépenses publiques destinées aux services sociaux ! » De qui, en effet, se moque-t-on ?

Y avait-il, cela étant, autre chose à faire après les événements du 11 septembre 2001 ? FDD évoque une sorte de nouveau plan Marshall, destiné aux pays pauvres et conditionnel à certains choix politiques et économiques. Solution partiellement impérialiste, mais au moins un peu soucieuse de justice internationale. Il évoque, aussi, l’action d’une police internationale qui aurait ciblé seulement les terroristes potentiels plutôt que des populations entières. Il finit, néanmoins, par adhérer à la conclusion de Jean Bricmont : « Il serait beaucoup plus réaliste d’admettre que nous n’avons pas de solution aux problèmes des autres et que, par conséquent, nous ferions mieux de ne pas nous mêler de leurs affaires. » Le problème, c’est que, dans le dossier du terrorisme international, « leurs » affaires sont un peu les affaires de tous, non ?

Cette conclusion fournit un exemple de ce qui déçoit dans cet ouvrage. FDD ne s’en cache pas : il est anarchiste. Cela signifie, pour lui, « prendre le parti des faibles contre les forts » (quitte à donner un appui « stratégique » et douteux à un Hezbollah, qu’il critique par ailleurs), être attaché aux principes de liberté, d’égalité et de solidarité et rejeter l’État, de même que son armée, puisque celle-ci est inégalitaire, même en démocratie.

Cette dernière conviction m’apparaît franchement naïve. Dans un monde idéal, bien sûr, l’institution militaire appartiendrait au passé. Or ce monde, on le sait bien, n’existe pas. Aussi, les armées existent. Souhaiter, dans ces conditions, qu’elles fonctionnent au mépris d’une certaine logique hiérarchique apparaît comme un non-sens. Pour contredire cette évidence, FDD donne l’exemple d’un groupe d’activistes qui est parvenu à organiser une manif antimilitariste en fonctionnant sans chef, selon un « mode d’organisation anarchiste ». Ils étaient vingt ! Comment croire, sauf à rêver solide comme on dit, qu’une armée d’État puisse fonctionner selon ces préceptes ? Ce type d’affirmation affecte la crédibilité du militant, pourtant si efficace dans la critique du discours officiel sur la guerre.

Ne serait-ce que pour la pertinence de cette critique, cela dit, cet ouvrage doit être lu. Pour le reste—que faire ?—, ce plaidoyer anarchiste ne nous sera pas d’un grand secours.

Louis Cornellier
Le Devoir, 12 et 13 décembre 2007

TITRE ASSOCIÉ

Inscrivez-vous à notre infolettre

infolettre

Conception du site Web par

logo Webcolours

Webcolours.ca | © 2024 Lux éditeur - Tous droits réservés.