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9 février 2013

La démocratie trahie par l’élection

Notre printemps érable s’est fait au nom de la démocratie, sa répression par le gouvernement libéral aussi. Le mot «démocratie» est sur toutes les lèvres. Jadis, ce fut loin d’être le cas. Dans Démocratie. Histoire politique d’un mot. Aux États-Unis et en France, le politologue Francis Dupuis-Déri explique que les fondateurs des républiques modernes condamnaient dans l’idée de démocratie «une tyrannie des pauvres»!

Dans le milieu intellectuel québécois, son livre vient à point nommé. Même si la réflexion de Dupuis-Déri ne traite pas des vues de son collègue Marc Chevrier sur le thème d’une république élitiste, elle en est la contrepartie. Autant les jugements de celui-ci se rattachent à la droite, autant la pensée de celui-là s’inspire de la gauche la plus authentique.

Signifiant dans la Grèce antique «le pouvoir du peuple», si imparfait fût-il à Athènes, la démocratie, observe Dupuis-Déri, se confond, au XVIIIe siècle, avec le désordre populaire aux yeux des élites américaine et française championnes du républicanisme. Grâce à de nombreuses sources, rarement exploitées, le politologue réussit à nous convaincre que ces gens influents la réhabilitent «vers le milieu du XIXe siècle, mais en lui attribuant un sens nouveau».

La démocratie perd de son esprit en s’assimilant au régime représentatif, c’est-à-dire électoral, qui va jusqu’à dégénérer en électoralisme, en clientélisme. Dupuis-Déri précise un fait qui crève les yeux mais que l’on oublie par lassitude: «Une poignée seulement de politiciens élus détiennent le pouvoir, même s’ils prétendent l’exercer au nom du peuple souverain.»

Aux États-Unis, avant 1830 environ, les tenants du régime représentatif, comme James Madison, stigmatisaient la démocratie. En France, avant la révolution de 1848, les républicains semblables, tel Emmanuel Joseph Sieyès, n’agissaient pas autrement.

Mais, après ces dates respectives, des hommes politiques américains, à la suite d’Andrew Jackson, et français, à l’instar de Léon Gambetta, se réclamèrent de la démocratie pour, selon les termes narquois mais criants de vérité de l’essayiste, «accroître leur pouvoir de séduction en période électorale».

Pourtant, les Européens, comme le rappelle Dupuis-Déri en s’appuyant sur des écrits des XVIIe et XVIIIe siècles, «ont été en contact avec des sociétés amérindiennes fonctionnant selon des principes démocratiques» dans des assemblées populaires plus proches de la recherche du consensus que de la démagogie. Fasciné par cet «état de nature , Rousseau vit dans la démocratie directe un «gouvernement si parfait», qui «ne convient pas à des hommes» mais à des «dieux».

Il écrivit encore: «À l’instant qu’un peuple se donne des représentants, il n’est plus libre.» Tributaire de celle du grand utopiste, la forte réflexion de Dupuis-Déri sur la démocratie mène à une dissection de la nature humaine

Michel Lapierre, Le Devoir,9 février 2013

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