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17 mars 2007

Un Norman Bethune antibritannique

Humaniste enveloppé d’une cape rouge, le médecin-révolutionnaire canadien était allergique aux théories, sujet aux sautes d’humeur et armé d’un style flamboyant

En 1937, à son retour d’Espagne, Norman Bethune, qui a oeuvré comme médecin dans les rangs des républicains au cours de la guerre civile, sursaute lorsqu’à New York le correspondant du quotidien The Gazette lui demande s’il est communiste. Il répond : « Absolument pas… Qualifiez-moi de socialiste, si vous le désirez… Avant tout, je hais le fascisme. » Le Canadien est fait d’une seule pièce, mais il n’a rien d’un doctrinaire.

Voilà ce qui ressort du portrait que brosse de lui Larry Hannant, professeur d’histoire à l’Université de Victoria (Colombie-Britannique), dans l’ouvrage le plus complet qu’on lui ait consacré. Enrichi de photos, le recueil, publié en anglais il y a près de dix ans et intitulé avec beaucoup d’à-propos Politique de la passion, renferme les écrits et les interventions orales de Bethune. Dans l’édition québécoise qui vient de paraître, ils sont souvent traduits en français pour la première fois.

En présentant avec minutie chacun des documents dans l’ordre chronologique, Hannant compose sous un jour nouveau la biographie du révolutionnaire allergique aux théories, sujet aux sautes d’humeur, mais armé d’un style flamboyant. Il le décrit comme « un humaniste enroulé dans une cape rouge ».

Hannant ne cache pas que Norman Bethune (1890–1939) avait tout de même adhéré au Parti communiste du Canada en 1935. Il restitue dans ses contradictions et sa complexité l’homme qui a été médecin, poète, peintre, photographe, inventeur d’instruments chirurgicaux, amant de plusieurs femmes et héros vénéré, sur l’ordre de Mao, par des centaines de millions de Chinois.

Rien ne prédestinait l’anglophone fier de ses ancêtres écossais, le fils agnostique d’un pasteur presbytérien de l’Ontario profond, à diriger de 1933 à 1936 une équipe canadienne-française en chirurgie pulmonaire, chez les Soeurs de la Providence, à l’hôpital du Sacré-Coeur de Cartierville. Nul ne s’attendait à ce que Bethune, après avoir observé les diverses tendances qui s’affrontaient en Espagne, déclare : « Les gens ont tort de croire qu’on ne peut être à la fois antifasciste et catholique. »

Le médecin canadien est conscient qu’à côté des communistes et des anarchistes, des catholiques, simples républicains, résistent aux troupes rebelles de Franco qui a intérêt, devant l’opinion internationale, à confondre tous les adversaires avec des massacreurs de prêtres. Il ne faut pas oublier que le général, fort de l’appui de la majorité des évêques espagnols, mais non de la totalité, veut renverser une coalition gouvernementale démocratiquement élue !

Contre l’injustice

On comprend que l’antifascisme viscéral de Bethune dépasse les idéologies. Il s’agit du cri du coeur que l’injustice lui arrache. À ses yeux, Madrid devient « le centre de gravité du monde ». Le médecin travaille au sein des Brigades internationales, formées de volontaires accourus pour sauver la démocratie, mais que la Grande-Bretagne, le Canada et d’autres États capitalistes jugent clandestins.

Sujet de Sa Majesté, Bethune ose s’attaquer au coeur même de l’Empire britannique pour démasquer l’hypocrisie. Il affirme : « Pour des raisons strictement économiques, l’Angleterre souhaite une Espagne faible et ruinée. Le gouvernement capitaliste de Londres et ses diplomates, Anthony Eden à leur tête, sont pronazis… Les véritables causes de la guerre civile espagnole, et celles qui déclencheront fort probablement la prochaine guerre mondiale, se trouvent dans une rivalité économique impérialiste. »

Dans cette déclaration intempestive faite en 1937, l’allusion à Eden peut surprendre, car le ministre des Affaires étrangères s’inquiétera de la politique d’apaisement vis-à-vis de Hitler que Chambellan, le premier ministre britannique, concrétisera l’année suivante en participant aux accords de Munich. Mais si l’on remplace seulement l’épithète « pronazis » par l’épithète « opportuniste », l’analyse de Bethune sur les liens stratégiques entre le capitalisme et le fascisme se défend.

En 1939, l’Allemagne expansionniste deviendra très menaçante pour la Grande-Bretagne. Elle empêchera les conservateurs anglais de rêver de ce qu’appréhendait le grand intuitif qu’était Bethune : une alliance avec les régimes dictatoriaux de droite pour contrecarrer la montée de la gauche en Europe occidentale.

Être non doctrinaire ne signifie pas être apolitique. L’infatigable chirurgien part pour la Chine en 1938. Arrivé là, il soigne les blessés pendant la guerre que Mao mène contre l’envahisseur : le Japon, allié des nazis.

Il constate que pour ses camarades « le communisme est un mode de vie, pas seulement une façon de parler ou une vue de l’esprit ». Grâce à la Chine et à ce mode de vie « aussi instinctif que le réflexe rotulien », Bethune, l’anglophone aux racines britanniques, obtient la confirmation que la terre entière est un théâtre unique où le fascisme n’est que le masque hideux d’un vieil oncle capitaliste qui parle la langue maternelle.

Michel Lapierre, Le Devoir, samedi 17 mars 2007

Voir l’original ici.

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