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20 avril 2010

Jesus Silva Herzog, Histoire de la révolution mexicaine (1910-1917)

L’apparition soudaine sur la scène politique mondiale de l’Armée zapatiste de libération nationale et de son porte-parole aussi énigmatique que charismatique, le sous-commandant Marcos, fut l’un des événements majeurs de la fin du siècle dernier. En se réclamant d’Emiliano Zapata, ces communautés en armes revendiquaient leur filiation avec le Mexique insurgée des années 1910. Pléthore de livres parut alors sur le Mexique contemporain mais, à ma connaissance, il manquait un ouvrage de base, accessible à un large public, et susceptible de mieux nous faire comprendre ce Mexique tumultueux du début du vingtième siècle. C’est chose faite aujourd’hui avec la réédition par les éditions Lux, d’un classique de la littérature mexicaine : L’Histoire de la révolution mexicaine de Jesus Silva Herzog.

L’auteur de cet ouvrage, publié pour la première fois en 1960 à Mexico, est plus qu’un historien. C’est un militant de gauche, une figure de l’intelligentsia mexicaine qui a eu des responsabilités politiques importantes dans son pays et qui a vécu, adolescent, puisque né en 1892, ces années de violence politique et sociale. Il nous livre donc une histoire engagée, partisane, de ce pan de l’histoire nationale.

A quoi ressemble le Mexique en cette année 1910 ? Il a à sa tête un vieux militaire, Porfirio Diaz, qui règne sur le pays depuis plus de trente ans et s’accroche au pouvoir avec une main de fer. Porfirio Diaz a le soutien de l’aristocratie terrienne qui coule des jours heureux dans les grandes villes, laissant le soin à ses hommes de main de gérer leurs immenses haciendas sur lesquelles triment trois millions de peones mis en situation de quasi-servage. Il a le soutien de l’Eglise avec laquelle lui, le franc-maçon militant, s’est réconcilié. Il dispose enfin de la force militaire, ce qui lui a permis de réduire au silence tous ceux, paysans révoltés, ouvriers révolutionnaires, intellectuels non serviles qui ont tenté de le faire vaciller de son trône.
En 1908, le septuagénaire Porfirio Diaz laisse entendre que le temps est venu pour lui de passer la main. Il n’en faut pas plus pour susciter les appétits des uns et des autres, notamment d’un grand bourgeois, Francisco Madero, qui fait acte de candidature à la présidence. Madero est un démocrate désireux d’établir un État de droit au Mexique ; c’est un humaniste libéral qui entend soulager les maux des travailleurs mexicains sans remettre en cause la toute-puissance de la bourgeoisie nationale.

Jeté en prison puis relâché, il gagne les États-Unis et rédige un Manifeste appelant au soulèvement armé contre l’autoritarisme de Porfirio Diaz. Ce faisant, il met le feu aux poudres. Ici et là, des groupes armés se montent et défient aux quatre coins du pays l’armée nationale, et en quelques mois les Maderistes emportent la victoire. Mais celle-ci est de courte durée car ces révolutionnaires qui prennent les armes, tuent et se font tuer ne défendent pas la même chose. Madero n’est pas un révolutionnaire. Il pense que les Mexicains ne désirent qu’une chose : que l’on respecte la Constitution. Il n’a pas compris ou ne veut pas comprendre que ces masses paysannes qui ont pris les armes désirent, eux, changer leur monde. Ils veulent s’emparer de la terre et la redistribuer et mettre à bas un système qui les exploite et les humilie.

Devant l’indécision de Madero et son refus de s’emparer radicalement de la question de la réforme agraire, Emiliano Zapata reprend le maquis. De son côté, le gouvernement américain intrigue pour faire tomber Madero en qui il n’a aucune confiance dans la capacité à ramener l’ordre. En un an, Francisco Madero est devenu un homme seul, impopulaire. En février 1913, il est assassiné sur ordre du général Huerta, celui-là même qu’il avait envoyé combattre, sans succès, les zapatistes. Un Huerta se proclame président de la République et entame la reconquête militaire du pays. Face à lui, des hommes aussi différents que l’ouvrier agricole Francisco Villa, le notable rural Emiliano Zapata, ou les politiciens Alvaro Obregon et Venustiano Carranza. Des chefs révolutionnaires qui le traitent d’usurpateur et jurent de le faire tomber. Face à lui également, le gouvernement américain qui le trouve trop proche des Européens, notamment des Anglais et refuse de le reconnaître comme légitime à son poste. Les jours du général Huerta sont comptés. En août 1914, il est chassé du pouvoir et poussé à l’exil.

Mais l’histoire se répète. Les apirations sociales et politiques de Venustiano Carranza, qui a les faveurs des Etats-Unis, ne sont guère compatibles avec celles de Francisco Villa et Emiliano Zapata qui se présentent comme les défenseurs légitimes des paysans pauvres pour Villa et des communautés indigènes pour Zapata. De plus ces hommes se haïssent ou, pour le moins, n’ont aucune confiance les uns envers les autres. Dès lors, les négociations qu’ils entament ne peuvent que tourner court et redonner bien vite la parole aux armes.

Madero était un indécis, Huerta était brutal, Carranza se révèle fin tacticien et tout aussi brutal. Il s’efforce, au nom d’un idéal républicain, sociale et laïc, de gagner à sa cause le prolétariat urbain. Pour affaiblir le camps zapatiste, il fait adopter en janvier 1915 une réforme agraire qui restitue aux communautés indigènes des terres communales qui leur avaient été volées sous Porfirio Diaz des décennies auparavant ; une réforme agraire qui ne peut convenir aux partisans de Pancho Villa qui sont des employés agricoles désireux de devenir petits propriétaires terriens. Mais comme cela ne suffit pas à ramener le calme dans le pays, il fait donner la troupe. Le Mexique s’enfonce de nouveau dans une guerre sans pitié. Les troupes du général Alvaro Obregon font la chasse aux Villistes dans le Nord, aux Zapatistes dans le Sud, et aux ouvriers révolutionnaires dans les villes.

Jesus Silva Herzog clot son récit en 1917, à l’adoption de la nouvelle constitution et à l’intronisation de Carranza comme président de la République. Choix arbitraire car à ce moment-là, ni Zapata ni Villa n’ont rendu les armes : le premier sera assassiné en 1919, le second capitulera un an plus tard. Choix arbitraire également quand on sait qu’Alvaro Obregon s’emparera du pouvoir par la force en 1920 après avoir fait assassiner Carranza. Choix arbitraire enfin si l’on se souvient qu’au milieu des années 1920 la révolte paysanne dite des Cristeros mit le feu au pays et fit vaciller le pouvoir. Mais c’est un choix qui s’explique aisément. Jesus Silva Herzog méprise profondément Francisco Villa qui n’est pour lui qu’une brute épaisse, un ancien voleur de bétail autoritaire et sans conscience. Il est plus amène avec les Zapatistes : il leur reproche notamment leur indigénisme, en d’autres termes, leur absence de sentiment national. Reste Venustiano Carranza. Jesus Silva Herzog le condamne sans ambigüité lorsqu’il fait adopter une loi en août 1916 punissant de mort toute personne se mettant en grève, mais à le lire, on a le sentiment qu’à ses yeux Carranza, homme éduqué et cultivé, incarne seul l’homme d’Etat porteur d’une vision politique, sociale et surtout nationale.

Ces réserves faites, je ne peux que vous conseiller de lire cet ouvrage car il demeure, malgré ses parti-pris une bonne introduction à l’histoire du Mexique contemporain ; ce que souligne d’ailleurs l’excellente et bien venue postface critique de Felipe Avila Espinosa. Il faut le lire avant de se pencher sur des écrits plus exigeants comme la biographie de Zapata due à la plume de l’historien John Womack (Emiliano Zapata et la révolution mexicaine, La Découverte, 2008) ou bien encore la passionnante synthèse de l’historien portugais Americo Nunes, Les révolutions du Mexique (Ed. Ab Irato, 2009).

 

Le monde comme il va, avril 2010.

Voir l’original ici.

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