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12 juillet 2019

Le pamphlet a de nouveau la cote

Que ce soit sous le couvert de l’humour politique, sous forme d’essai ou les deux, le pamphlet revient en force. L’état des lieux de ce style longtemps délaissé.

Précurseur du journalisme, le pamphlet a longtemps disparu du paysage littéraire avant de faire ce qui ressemble à un retour en force.

Je suis moi-même un grand amateur de pamphlet. J’en lis et j’en écris, en chronique et en livre. Parmi les plumes qui me sont les plus inspirantes figurent celles d’écrivains et de journalistes qui fertilisent le terreau des cimetières depuis longtemps, qu’on parle de Jules Fournier, d’Olivar Asselin, d’Arthur Buies, de Gil Courtemanche ou encore de Pierre Falardeau. On peut d’ailleurs ajouter à cette liste des polémistes tels que Chris Hedges ou, ici, le chroniqueur du Devoir Jean-François Nadeau, lui-même grand amateur du genre, qui rehausse majestueusement l’étalon-or d’un journalisme d’opinion si malmené par des scribouillards à gages et autres mercenaires prêts à vendre leurs plumes et leurs opinions malléables au gré du souffle du plus offrant.

Falardeau disait «se prendre pour un écrivain». Il a d’ailleurs souvent raconté une anecdote intéressante à ce propos, quelque temps après avoir demandé au journal Le Devoir pourquoi ils refusaient sans cesse ses textes. La réponse était : «parce que, M. Falardeau, vous faites du pamphlet — vous écrivez comme au 19e siècle». Grand bien nous fasse, plusieurs de ses écrits se sont retrouvés dans plusieurs recueils dont le plus connu, La liberté n’est pas une marque de yogourt, originalement publié chez Stanké en 1995. Depuis de nombreuses années, le genre s’est largement retrouvé cantonné dans les marges de la littérature québécoise chez quelques éditeurs comme Noroit, qui publie les écrits incendiaires du prof de philosophie Christian Saint-Germain, et une multitude de publications politiques et militantes à très faible tirage.

Dépassé, le pamphlet? La moindre chose qu’on puisse dire, c’est qu’il semble se renouveler et que certaines maisons d’édition veulent lui redonner sa place.

«C’est une manière caustique d’aborder des réalités sociales sensibles», explique Mark Fortier, éditeur chez Lux, qui publie également les pamphlets «théoriques, à portée plus philosophique» d’Alain Deneault (La médiocratie, Le totalitarisme d’une multinationale au pouvoir, Paradis fiscaux).

«On peut se permettre de dire des choses qu’on ne pourrait pas dans d’autres modes d’écriture», poursuit-il, citant l’exemple de Jules Fournier qui, sans écrire des brulots, demeurait un journaliste critique qui, justement, s’est retrouvé en prison pour avoir traité un juge de «corrompu». Fortier explique que dans Souvenirs de prison, le journaliste aurait pu écrire un livre «rempli de faits et d’explications empiriques» (comme l’a fait le journaliste français Albert Londres dans sa série d’articles Au bagne). «Il a plutôt choisi de se moquer de ses conditions de détention, qui l’ont pourtant rendu très malade et, ainsi, tourner en dérision le système carcéral», renchérit Mark Fortier.

«Dans sa tonalité et son propos [Souvenirs de prison] est un pamphlet. C’est une charge. Et c’est autrement plus efficace».

Le doux vitriol de l’humour

L’humoriste Fred Dubé le dit d’emblée : il a délibérément choisi le pamphlet comme forme littéraire pour écrire son premier livre, Une pipée d’opium pour les enfants (Lux, 2018), paru en décembre dernier.

«Il faut nommer le truc littéraire. Je trouvais que c’était le nom qui définissait le mieux l’élan de l’écriture, l’irrévérence, l’emportement », dit-il, décrivant son livre comme « amusant, mais pas divertissant». «J’ai écrit de ça de manière très viscérale, j’accumulais beaucoup d’information et après je retravaillais beaucoup les textes, pour que ça sorte comme un souffle». Dubé croit que les milieux médiatiques et littéraires plus grand public pourraient laisser plus de place à ce genre d’écrit. «On éteint des émotions avec des mots comme “objectivité”, “neutralité”, “réalisme”. On éteint le souffle qui pousse les gens à aller dehors, à aller manifester», dénonce-t-il, soulignant du même coup l’importance de fonder de tels textes sur une solide base factuelle.

«Mais une fois que les informations sont vérifiées, dans la manière de l’exprimer, il faut pas avoir peur de toucher les viscères des gens. Connaître la nouvelle, comprendre la nouvelle, pis être en crisse après la nouvelle, c’est quand même trois étapes importantes» affirme l’humoriste.

Où sont les femmes?

Comme la plupart des traditions journalistiques et littéraires, les pamphlétaires relèvent très majoritairement, à défaut de ne pas dire unanimement, du boys club. Ce qui ne signifie pas que des femmes n’aient pas adopté la posture. Pensons notamment à Hélène Pedneault, l’une des fondatrices du magazine féministe La vie en rose et, encore une fois, à une pléthore d’ouvrages, revues, magazines et sites web qui se butent encore aujourd’hui à la porte du club.

«L’objectif d’un pamphlet devrait être de bousculer des idées reçues, de remettre en question le statu quo, de contester le pouvoir. C’est peut-être pourquoi il n’a pas une si grande place chez nous, où le débat intellectuel a un peu la vie dure», déplore Julia Posca. sociologue et chercheure à l’IRIS, autrice du très ironique essai Le manifeste des parvenus – Le think big des pense-petit (Lux, 2018).

«Mais c’est peut-être aussi parce que le Québec est une petite société où la critique est souvent confondue avec des attaques personnelles, ce qui place celui ou celle qui l’émet dans une position parfois difficile à tenir», confie la chercheure.

«J’ai été inspirée par le sujet de mon essai, soit les parvenus eux-mêmes. Je m’intéressais au discours de cette élite qui fait l’éloge des riches et qui cherche à nous convaincre que notre bien-être collectif dépend des plus fortunés. Ce discours est non seulement trompeur, il est méprisant envers les salarié-es ordinaires», explique-t-elle. «J’ai alors décidé d’utiliser cette vision caricaturale de la réalité économique et sociale en la renversant. J’en ai fait un matériau comique à exploiter pour montrer le caractère idéologique de cette représentation du monde». Si Julia Posca se dit inspirée par des plumes comme celle de Falardeau et de Michel Chartrand, elle souligne également l’apport de femmes telles que la syndicaliste Madeleine Parent et Pauline Julien.

«Leur liberté de parole m’inspire beaucoup», dit-elle, désignant du même souffle des jeunes femmes telles que Catherine Éthier et Manal Drissi.

«Elles ont une parole forte, elles ne craignent pas de tenir des propos incisifs dans des lieux pourtant habitués au consensus et, bien sûr, elles manient l’humour comme une arme redoutable», explique Julia Posca.

Un genre qui semble donc se renouveler et attirer de nouveaux et nouvelles adeptes, alors que la conjoncture sociale et politique s’y prêtera bien et rendra le terreau des mots fertile.

Martin Forgues, Ricochet, 12 juillet 2019

Lisez l’original ici.

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