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2 août 2012

Liens socios, comptes rendus. 2 aout 2012

Livre référence:

Daniel J. Boorstin, Le triomphe de l’image. Une histoire des pseudo-événements en Amérique
Sophie Maunier

Avec son ouvrage Le triomphe de l’image, paru en 1962, Daniel J.Boorstin signe une œuvre annonciatrice de l’approche critique de notre société de consommation de masse. Historien, Daniel J. Boorstin s’appuie, pour élaborer son analyse crique, sur l’interprétation de faits tels que l’évolution des techniques d’impression, l’apparition des best-sellers ou des voyages organisés, ou encore l’évolution du langage. Ainsi, l’auteur décrit-il les transformations entraînées par la « révolution de l’image », qui débute au début du XIXe siècle, avec les progrès techniques, notamment dans le domaine de la communication et des transports. Toutefois, les progrès techniques ne suffisent pas : selon l’auteur, notre époque ne serait pas celle de l’artifice sans le développement de la démocratie et de son idéal égalitaire, une époque où « les illusions sont plus réelles que la réalité elle-même » (p.68). Daniel J. Boorstin dénonce la vacuité de nos vies, gouvernées par le spectacle, le divertissement et la marchandise.

Notre société est donc sous le règne de l’artifice et du simulacre, et ce, dans tous les domaines, notamment intellectuels et culturels. Le métier de journaliste n’est plus celui de la recherche de nouvelles, mais celui de la fabrication de nouvelles, de pseudo-événements, qui doivent alimenter des médias diffusant des informations de façon de plus en plus rapide pour assouvir la « soif de connaissance » des citoyens, de plus en plus alphabétisés et pressés de s’informer. Symptomatique de cette évolution : les interviews, qui ne font qu’exacerber des opinions et ne sont guère des événements. Les pseudo-événements empoisonnent l’expérience humaine à la source et conduisent à la valorisation de pseudo-qualification, donnent l’illusion de la toute-puissance, bien loin de la grandeur humaine. Daniel J. Boorstin montre en quoi le triomphe de l’image permet la valorisation de la célébrité, au détriment de la renommée et signe ainsi l’avènement de la masse au détriment du peuple. Nul besoin, avec les pseudo-événements, d’être renommé du fait d’actes héroïques ou grandioses, car n’importe qui peut être célèbre : il suffit de paraître dans l’actualité.

Les voyages se sont transformés en tourisme de masse. Les transports s’améliorent et présentent moins de risques. Voyager ne consisterait donc qu’à consommer des lieux artificiels de divertissement, qui se ressemblent tous d’un coin à l’autre du globe, sous l’effet des voyages organisés, des guides de voyage et des motels. « Le voyageur allait à la rencontre de l’autre ; aujourd’hui, tout est fait pour que le touriste l’évite » (p.136). De même, les musées sont une attraction touristique relevant du commerce où les œuvres sont destinées à la consommation.

« Les progrès et l’amélioration des formes de la technique transforment toute manifestation intellectuelle en vulgaire article commercial » (p.238). Les formes littéraires se dissolvent du fait du développement du cinéma, symbole même du « triomphe de l’image » et du vedettariat, et de l’émergence des « digests », condensés d’articles et de livres. Les formes d’expression sont de plus en plus indifférenciées comme la confusion entre le film et le roman. Roman de moins en moins relevant de la littérature mais de la vente, comme le montre le succès des « best-sellers » : le livre se vend car il s’est vendu.

La révolution de l’image tend à indifférencier toutes les expériences de la vie. Le langage des images a remplacé celui des idéaux et mène au conformisme. L’image est une invitation au mimétisme : les normes sont remplacées par des images, le conventionnel par le conformisme, le raisonnement par la séduction, la réflexion par le réflexe. D’où l’apparition de la marque et l’omniprésence de la publicité, mélange des pseudo-idéaux et des pseudo-événements, d’autant que « les gens aiment à être bercés d’illusions » (276).

Dans le domaine des sciences sociales, Daniel J. Boorstin regrette la disparition de l’historien humaniste au profit du sociologue. En effet, pour l’auteur, la sociologie caractérise l’avènement des pseudo-événements et des pseudo-idéaux, du fait qu’elle fait de la caricature de groupe, produit une image à laquelle l’individu doit se conformer. L’historien, lui, établissait le portrait de grandes figures exemplaires, admirables. On retrouve ici la critique de la démocratie énoncée par l’auteur : la perte de la grandeur.

La révolution de l’image brouille les catégories de vérité et de mensonge, du savoir et de l’ignorance. La quête de vérité s’est transformée en recherche de crédibilité. Le monde est de plus en plus confus, opaque. C’est le règne de l’opinion publique et des sondages.

L’auteur termine son ouvrage sur la disparition du rêve américain au profit de l’illusion et une clôture des Américains sur eux-mêmes : le peuple américain souffre inconsciemment de sa propre idolâtrie. Ainsi, notre société est-elle celle de la médiocrité intellectuelle, dont l’usage des superlatifs et euphémismes est une illustration, et celle du simulacre et de la démesure.

Certes, Daniel J. Boorstin a écrit un livre partial, toutefois son analyse personnelle, riche en références historiques et digressions lexicologiques, semble d’autant plus pertinente avec l’évolution actuelle des technologies et des réseaux sociaux.

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