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9 janvier 2018

Naomi Klein: on doit réagir face à Trump

Le 20 janvier, ça fera exactement un an que Trump est président des États-Unis. Entre une menace nucléaire, des tweets haineux et des déclarations racistes, il n’y a pas trop de raisons de célébrer. Pour l’essayiste canado-américaine Naomi Klein, ce n’est pas non plus une raison de baisser les bras. Surtout si on veut éviter que le phénomène ne se déplace chez nous.

De mauvais augure pour la planète comme pour l’humanité, l’élection du 45e président des États-Unis est apparue comme une catastrophe aux yeux de la journaliste et activiste Naomi Klein. Loin de se laisser démonter, elle a écrit son dernier essai, Dire non ne suffit plus: Contre la stratégie du choc de Trump (Lux Éditeur), dans lequel elle analyse la montée de la droite et tente de trouver un moyen de contrecarrer cette vague. Entrevue.

Comment voyez-vous Trump? Est-il inconscient des conséquences de ses gestes ou est-ce plutôt un fin manipulateur, qui sait très bien ce qu’il fait?

Trump est un véritable narcissique. Il ne croit pas en l’humanité des autres. Je ne pense donc pas qu’il soit possible pour lui de réellement comprendre la portée de ses actions.

Surtout, j’ai l’impression qu’il croit pouvoir plier la réalité à sa volonté, que s’il répète quelque chose assez souvent, ça deviendra vrai. Il vient des mondes de la lutte professionnelle et de la téléréalité, où l’on traite la réalité comme une ressource brute, quelque chose qui doit être modelé et sculpté jusqu’à sa forme finale. Le réel n’a presque rien à voir avec ce qui se retrouve à l’écran.

Pour lui, convaincre les gens de croire en ses mensonges plutôt qu’en la réalité objective devient un exercice de pouvoir, de marketing. On le voit dans sa façon de parler de son plan fiscal. Il répète que ses comptables sont furieux contre lui parce qu’il va payer beaucoup plus d’impôts, alors que toutes les analyses montrent que ce sont les riches qui bénéficieront le plus de ces changements et que la classe moyenne déboursera davantage.

Donald Trump s’est positionné comme le défenseur des travailleurs américains, menaçant souvent de mesures protectionnistes ses alliés commerciaux comme le Canada. Négocie-t-il vraiment dans l’intention de créer davantage d’emplois aux États-Unis?

Oui, mais il veut surtout créer des conditions qui inciteront les entreprises à s’installer aux États-Unis, comme des taux d’imposition et des salaires très bas. S’il réussit, cette création d’emplois se fera au détriment des conditions de vie des travailleurs américains.

Jusqu’à maintenant, pour lui, les nouveaux emplois passent par la vente d’armes. C’est sa principale activité quand il voyage à l’étranger: trouver de nouveaux marchés pour ce secteur. Le président est devenu un «marchand d’armes ambulant». Bien sûr, ça favorise l’emploi, mais à quel prix?

Au pays, l’éducation et les soins de santé sont plus accessibles que chez nos voisins du Sud. On pourrait se sentir à l’abri d’idées comme celles de Trump. Sommes-nous trop insouciants?

C’est le plus grand danger, avec Trump. Il est si extrême qu’il abaisse en quelque sorte la barre et permet une certaine complaisance. Tous les politiciens paraissent bien à côté de lui.

Pourtant, il y a eu le projet de loi 62 au Québec avec son attaque envers le niqab, beaucoup plus poussé que tout ce qui s’est fait sous le règne de Trump en ce qui concerne le contrôle du corps des femmes. Justin Trudeau joue quant à lui un jeu très dangereux avec les promesses de réforme électorale qu’il n’a pas tenues et sa proximité avec des milliardaires comme l’Aga Khan. Je crains que ça ne place le Canada dans un état favorable à la montée de mouvements populistes de droite – et en colère.

Selon vous, Trump est d’abord et avant tout une menace pour la planète, avec ses politiques contre la protection de l’environnement. Avez-vous l’impression que les différentes catastrophes naturelles qui ont frappé le territoire américain ces derniers mois ont conscientisé la population aux changements climatiques?

À Porto Rico, ils le comprennent depuis longtemps. Habitant sur une île, ils jonglent avec la montée des eaux de façon quotidienne. Dans des zones plus républicaines, quand de tels désastres frappent, ça agit souvent comme un réveil. J’étais à Biloxi, au Mississippi, après le passage de l’ouragan Katrina. J’ai parlé à plusieurs personnes – des républicains – qui ne croyaient pas aux changements climatiques… jusqu’à ce que leur maison soit détruite. Je pense que c’est un peu ce qui s’est produit à Houston, au Texas, après les inondations.

Dans votre livre, vous dénoncez la proximité de Trump avec diverses grandes entreprises. Ces relations pourraient-elles nuire à la démocratie?

Cette fusion totale des classes corporatives et politiques nous rend vulnérables aux attaques contre la démocratie. Ça pousse les gens à être très cyniques, avec raison.

Le plan fiscal que le gouvernement américain vient de mettre en place en est un bon exemple. C’est un texte de loi extrêmement impopulaire que personne ne demande – à l’exception des donateurs du parti – et qui aura l’effet d’un tremblement de terre. Ça va provoquer un trou de trois milliards de dollars dans le budget, qui devra être récupéré en adoptant des mesures d’austérité.

Le pire, c’est que ça rendra toute action pour lutter contre les changements climatiques plus complexe à appliquer pour la prochaine administration. C’est désespérant.

Les gouvernements sont prêts à beaucoup de sacrifices pour attirer des investissements privés. Il suffit, pour le constater, d’observer la compétition entre les villes nord-américaines pour obtenir le deuxième siège social d’Amazon. Leur accordons-nous trop de pouvoir et de confiance?

Le cas d’Amazon ressemble à un épisode de téléréalité. «Donnez-nous la rose!» (comme dans The Bachelor). Ce n’est qu’une autre illustration des dynamiques de pouvoir entre les compagnies et les gouvernements. Comment s’attendre à ce que nos élus régulent les industries pour protéger la population alors qu’ils sont agenouillés devant elles? La raison pour laquelle les gens voient les entreprises comme des sauveurs, c’est qu’ils pensent qu’elles représentent le seul moyen d’aider l’économie et de créer les emplois dont ils ont cruellement besoin. Il nous faut d’autres modèles économiques pour venir à bout de cette idée.

Dans votre livre, vous parlez beaucoup d’une union des forces progressistes (environnementalistes, féministes, antiracistes, socialistes). Quel devrait être leur combat commun?

Notre système capitaliste. On vit dans un système basé sur l’extraction sans fin, sans se soucier des conséquences. On s’approprie les ressources naturelles de la Terre, on pousse les travailleurs comme s’il n’y avait aucune limite à ce qu’on peut exiger d’eux, on coupe dans le filet social… Ce dont nous avons besoin, c’est d’un changement de paradigme, c’est de prendre soin de notre planète et des gens.

Il faut garder en tête ce lien entre les causes que nous défendons, car nous ne nous battons pas pour des politiques ou pour des lois. C’est une question de valeurs.

Je pense que les villes sont très importantes pour mener des expériences économiques. On le voit de plus en plus, comme à Madrid ou à Barcelone. Les élus y essaient un nouveau type de gestion qui s’oriente autour du droit au logement, de la souveraineté énergétique et alimentaire. Grâce à ces initiatives, les gens arrêteront peut-être de croire que la bonne fée magique Amazon est le seul moyen d’améliorer leur vie.

Bien sûr, on se heurtera un jour aux limites de ce qui peut être fait sur le plan municipal. Il faudra alors transformer d’autres paliers gouvernementaux.

Mais la leçon à retenir de Madrid, c’est que les citoyens doivent rester engagés et ne pas s’attendre à ce que les élus règlent tout pour eux. Nous devons nous organiser dans nos quartiers et dans nos communautés. Ça ne suffit pas d’être enthousiaste à propos du résultat d’une élection. Pour que ça fonctionne, il faut rester présent et s’impliquer.

La mise en place de tels changements est-elle possible?

La bonne nouvelle, c’est que nous n’avons pas cette discussion en pleine Grande Dépression. Nous vivons à une époque de richesse jamais vue auparavant. Il y a tellement d’argent qui circule dans l’économie globale que cette idée qu’on ne peut rien faire pour résoudre nos problèmes est complètement absurde. L’argent est là. Il nous suffit d’avoir le courage d’aller le chercher et de mettre en place les politiques pour y arriver.

Vous semblez avoir à cœur ces luttes pour l’environnement et la justice sociale. Est-ce devenu un combat personnel pour vous?

C’est toujours personnel. Si seulement j’arrivais à séparer mon engagement de ma vie personnelle, je serais probablement beaucoup plus facile à vivre…

Je vais continuer à me battre, car les enjeux sont plus importants que jamais. Mais je suis plutôt optimiste maintenant. Je crois qu’il y a bien des signes qu’un changement est en train de se produire. Aussi effrayantes que soient les actions de la droite, celles de la gauche sont particulièrement fertiles.

La nouvelle génération – celle qui est devenue majeure en plein dans la crise de 2008 – comprend parfaitement que le système est pourri. Ces jeunes croulent sous les dettes étudiantes et se font offrir des contrats, pas des emplois. Ils veulent qu’on leur parle d’éducation gratuite et d’énergie renouvelable.

Je comprends que les gens soient fatigués et apeurés. Je le suis aussi. Mais ce serait totalement irresponsable de se vautrer dans le désespoir aujourd’hui. Ce n’est pas le moment de se reposer.

Entretien avec Andréanne Moreau, Châtelaine, 9 janvier 2018.

Lisez l’original ici.

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