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10 avril 2019

Pas de gloire pour les punaises

Le dernier livre de Dominique Payette sur les radios poubelles est troublant et inquiétant. Les brutes et la punaise. Les radios poubelles, la liberté d’expression et le commerce des injures est une réflexion sur les effets dévastateurs de la bêtise de masse. Rappelons que l’auteure de l’essai, ex-journaliste et professeure en information et communication, a subi les assauts de ces radios qui ont rigolé de son physique, sans se priver de quelques allusions sexuelles, et même demandé son congédiement de l’Université Laval. Les insultes ont été reprises par nombre de personnes qui lui ont envoyé des messages injurieux, dont celui-ci : « On vous a à l’œil. On va vous écraser comme une punaise. » Ce « on » a interpellé Dominique Payette parce qu’il est collectif. Comment des individus, qui se confondent dans une masse informe, des auditeurs d’une radio, peuvent devenir les ennemis d’une personne au point de lui souhaiter du mal ?

L’essai s’appuie sur des données et de nombreux exemples de propos qui font dresser les cheveux sur la tête. Il est difficile de croire, et surtout d’accepter, qu’il soit possible de lancer de telles injures et idées sans conséquence immédiate. Faire peur aux cyclistes en klaxonnant, répéter que les féministes sont laides, grosses, frustrées, mal baisées et souvent responsables des agressions subies (les bas-fonds n’est-ce pas), s’amuser follement et en remettre avec les préjugés sur les Autochtones et, évidemment, taper sur la tête des plus pauvres (on se gâte pas mal avec les BS). Avoir un micro sous le nez est un privilège qui vient avec des responsabilités. Ce qui est le cas pour tous ceux et celles qui ont un espace dans un média (y compris moi). Payette rappelle avec raison que cette responsabilité repose aussi sur l’État, les institutions, les élus et toutes les personnes qui entendent ces propos, mais gardent le silence.

Outre la mollesse des règlementations, la peur, bien installée à Québec, expliquerait en partie le niveau d’inertie face à ces radios. Peu de gens se portent à la défense des individus ou organisations qui subissent un dénigrement. Souvent sous couvert de l’anonymat, les témoignages montrent que plusieurs personnes et groupes ont très peur du pouvoir des animateurs ainsi que des milliers de personnes qui répèteront, tel un mantra, leurs messages haineux et dégradants. Parce que le fait est que les gens répètent les mêmes mots. Le même discours. L’exemple le plus surprenant vient de la syndicaliste Magalie Picard. La hargne des radios lors d’une lutte syndicale a mené les syndiqués à dénoncer leur propre régime de retraite ! Picard explique que les syndiqués lui répétaient les mêmes mots que les animateurs.

L’essai parle surtout des radios de Québec avec un bref passage sur Saguenay, l’Abitibi et l’Outaouais. KYK RadioX Saguenay est une radio privée d’opinion, somme toute masculine, qui n’a pas de salle de nouvelles pour produire du contenu et garantir une certaine rigueur journalistique. Comme le dit l’auteure, l’opinion coûte moins cher que l’information. Si le niveau des insultes à Saguenay n’est pas celui de Québec, surtout depuis le départ des Bouchard et Monette, on reconnaît des pratiques similaires. Lancer et déposer une pétition sur le ramassage des poubelles (un jeu de mots qui ne s’invente pas) n’est pas dans le registre des pratiques médiatiques rigoureuses.

Toute personne ou groupe peut devenir la punaise d’un animateur de radio poubelle à la recherche d’un sujet payant pour les cotes d’écoute, que ce soit à Québec ou Saguenay. Saluons donc le geste de Catherine Dorion, députée de QS dans Taschereau, qui a décidé de ne pas se laisser écraser par Éric Duhaime. Souhaitons que d’autres personnes de pouvoir lui emboîtent le pas. Les personnes vulnérables et autres punaises n’ont pas les reins assez solides pour affronter le quatrième pouvoir lorsqu’il s’acharne à détruire la démocratie.

Isabelle Brochu, Le Quotidien, 10 avril 2019

Lisez l’original ici.

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