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29 novembre 2008

Voltairine, l’anarchiste et l’Américaine

Pionnière de l’anarchisme américain, Voltairine de Cleyre (1866–1912) s’oppose au pouvoir de l’État, de la religion, de l’homme sur la femme. Deux ans avant de mourir, elle s’attaque encore au matérialisme historique. Ce qui la rend originale et peu doctrinaire. «L’idée de la domination absolue de la matière est une erreur, écrit-elle, aussi dangereuse que le concept de l’esprit comme existant en dehors de toutes relations avec l’extérieur.»

Cette intellectuelle inclassable, née à Leslie (Michigan) d’un père d’origine française, admirateur de Voltaire comme on le devine, et d’une mère Américaine, les Québécois Normand Baillargeon et Chantal Santerre ont le mérite de la faire découvrir au lectorat francophone. Jusqu’à ce jour, on trouvait seulement dans des publications de langue anglaise les oeuvres de Voltairine de Cleyre, sa biographie et les nombreuses études sur le sujet.

Intitulé D’espoir et de raison, le recueil d’«écrits d’une insoumise», réunis et présentés par les deux chercheurs, comprend 16 essais importants et 14 poèmes. Substantielle, l’introduction historique et critique regorge de précieux renseignements.

Normand Baillargeon et Chantal Santerre y comparent Voltairine de Cleyre à une militante native de Russie, Emma Goldman (1869–1940), figure plus connue de l’anarchisme et du féminisme américains. En dépit de leurs divergences, les deux femmes se vouaient une admiration mutuelle.

En 1893, Voltairine de Cleyre déclarait: «Mademoiselle Goldman est une communiste ; je suis une individualiste. Elle veut détruire le droit de propriété ; je souhaite l’affirmer. Je mène mon combat contre le privilège et l’autorité, par quoi le droit à la propriété, qui est le véritable droit de l’individu, est supprimé.» Plus tard, elle nuancera sa position en se félicitant des «énormes progrès» de la pensée communiste aux États-Unis.

Il n’en demeure pas moins qu’en 1903 Voltairine de Cleyre précise: «Je ne suis pas disciple de cette école dont la doctrine est d’enseigner que la volonté humaine est inexistante et que le monde matériel détermine tout… Je crois en l’individu. » Elle pense que l’anarchisme s’inscrit dans une tradition américaine axée sur l’attachement à la liberté individuelle et qu’il « est la conclusion logique de trois siècles de révolte».

En retraçant les étapes de cette longue marche vers l’affirmation de la volonté personnelle, Voltairine de Cleyre n’hésite pas à évoquer le souvenir des quakers, de Jefferson, de «transcendentalistes» aussi différents qu’Emerson et Thoreau, sans oublier les «cris barbares» whitmaniens qu’elle affectionne. Ce qui la préoccupe n’est pas tant l’unité des démarches que la présence diffuse d’un esprit d’affranchissement sans cesse approfondi.

Ses références à l’histoire intellectuelle des États-Unis donnent une résonance toute particulière à un humour féroce, propre à son pays. En 1902, à un sénateur qui offre 1 000 $ pour obtenir la permission de tirer sur un anarchiste, elle écrit: «Il vous suffira de payer votre déplacement jusque chez moi (mon adresse est indiquée plus bas) pour me tirer dessus…»

Pour Voltairine de Cleyre, si l’Amérique individualiste qui s’enivre du principe de la liberté reste incapable de concevoir, une seconde, l’idée soeur de la destruction de tout pouvoir coercitif, c’est qu’elle a cessé d’être l’Amérique.

Michel Lapierre
Le Devoir, 29 et 30 novembre 2008

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